« Le mot préféré des serveurs ici est : "Sorry Sir, I forget". » Didier Pierrot, restaurateur de La Petite France, à Phnom Penh
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Didier Pierrot, patron de La Petite France à Phnom Penh, a le triomphe modeste : quelques mois à peine après son installation, son restaurant ne désemplit pas. En choisissant de proposer une cuisine de bistro simple mais bonne, faisant sienne la devise d'Auguste Escoffier, il démontre qu'il existe encore de belles opportunités de réussite au Cambodge, pour peu qu'on les mène avec sérieux et compétence.
À 56 ans, l'homme n'en est pas à sa prime audace. Ancien du Pied de Cochon et de La Coupole à Paris, il a monté sa première affaire en Nouvelle-Calédonie avant de choisir le Cambodge. Après s'être assuré de la qualité et de la disponibilité des produits locaux (notamment les volailles et les cochons), Didier Perrot a choisi de s'installer à proximité du quai Sisowath, qui est un peu à Phnom Penh ce que la Croisette est à Cannes. Ainsi placé, il peut certes attirer les touristes de passage, chaque année plus nombreux à visiter le pays des temples d'Angkor.
Mais le chef vise plus particulièrement à fidéliser les expatriés. Les Français, massivement installés dans la capitale où ils travaillent notamment dans les secteurs culturels et humanitaires, mais aussi les autres Occidentaux ou Asiatiques (Japonais et Coréens) sur qui la cuisine française continue d'exercer ses charmes. Enfin, la présence d'une élite cambodgienne permet aussi de diversifier la clientèle, heureuse de découvrir une cuisine de terroir.
Autre exemple, avec La Résidence, fondée par le Français Ansiau La Planeta. Marié à la princesse Rattana Devi (l'une des petites-filles de l'ancien roi Norodom Sihanouk), il a fait le pari de rénover une villa appartenant à sa belle-famille, avant de recruter son personnel en Suisse. Le chef Takeshi Kamo est un ancien de chez Roland Pierroz à Verbier, et le chef pâtissier, Nicolas Le Cardinal, a travaillé au Mandarin oriental de Genève.
Si ces derniers ont d'abord nourri une certaine appréhension face au défi de l'expatriation, ils ne regrettent pas leur choix. Les deux professionnels ont maintenant intégré les usages locaux, et notamment le rapport au temps et aux cadences, autrement plus « lâches » sous les tropiques indochinoises que dans une brasserie française.
Liberté et indolence
Car s'installer comme restaurateur au Cambodge exige avant toute chose de connaître et d'intégrer les règles et les mentalités qui façonnent la société khmère. Lorsqu'on interroge les patrons français sur les motivations qui les ont poussés à fonder leur établissement dans ce pays, deux mots reviennent fréquemment dans leur bouche : « liberté » et « indolence ». Liberté d'entreprendre et souplesse des réglementations, en tout premier lieu, qui font du Cambodge une destination autrement plus attrayante que certains pays frontaliers, comme le Vietnam ou le Laos, où perdurent de nombreuses contraintes bureaucratiques. Les obligations légales, comptables ou sociales sont ainsi réduites à leur plus simple expression. La fiscalité d'une affaire se résume au paiement d'un impôt unique basé sur un faible pourcentage du chiffre d'affaires déclaré. L'établissement des contrats (bail, embauche du personnel, etc.) est aussi d'une extrême facilité, tandis que la pression normative reste peu contraignante. Comparée à la rigidité et à la complexité de la réglementation française, la gestion d'une affaire se révèle donc très aisée.
Néanmoins, l'aspect managérial possède plusieurs contraintes qu'il est nécessaire d'intégrer. Trouver du personnel qualifié qui maîtrise les usages du service français n'est pas simple, d'autant plus qu'il est nécessaire que les serveurs parlent aussi un anglais parfait. Si certaines formations de cuisiniers ou de serveurs existent au Cambodge, il reste dans les cas indispensable d'assurer soi-même l'instruction de son personnel. Il convient alors de faire preuve d'une patience et d'une attention inépuisables. Il suffit d'avoir été client une seule fois dans un restaurant de Phnom Penh, quel que soit son standing, pour observer que les manquements au service et les oublis sont multiples. Chaque erreur étant en revanche contrebalancée par un désarmant sourire.
Fini le temps de l'amateurisme
Mais cette dépaysante indolence dans le service, les patrons finissent vite par s'en accommoder, tant qu'elle reste dans des limites acceptables, car elle est de toute façon intégrée par la clientèle. « Le mot préféré des serveurs ici est :'"Sorry Sir, I forget". Mais même si je tiens à ce que mon personnel soit le plus professionnel possible, je sais que je serai jugé avant tout sur ma cuisine, sur la qualité des ingrédients et l'attention portée sur chaque plat », explique Didier Pierrot.
Et si le chef de La Petite France insiste tant sur cette volonté de servir une cuisine de qualité, c'est que certains restaurants français installés depuis longtemps à Phnom Penh ont fini par se reposer sur leurs lauriers, certains d'accueillir de toute façon une clientèle d'expatriés affamée de senteurs du pays natal. Mais les temps changent. Elle est loin l'époque où l'on pouvait s'improviser restaurateur, avec comme seul argument sa bonhomie et quelques CD de Charles Aznavour.
Désormais, les nouveaux installés doivent apporter une vraie compétence, un projet singulier, une rigueur dans l'offre. Et dans un pays neuf comme le Cambodge, dont les perspectives économiques restent alléchantes, nul doute qu'il y a encore de belles opportunités à saisir, des affaires à réussir.