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Protéines : vers un nouvel équilibre

YANNICK NODIN

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Même si la consommation de viande baisse en France depuis le début des années 1980, l'explosion de la demande mondiale, elle, ne serait pas soutenable à l'horizon 2050. Quelles nouvelles sources de protéines pour préserver notre équilibre alimentaire ?

Des tomates-mozzarella en hors-d'oeuvre, un steak de soja accompagné de haricots verts en plat principal, des pommes et des bananes en purée pour le dessert... Aujourd'hui, c'est menu végétarien pour les enfants des écoles du IIe arrondissement de Paris, comme tous les jeudis : « Nous avons lancé ces menus hebdomadaires dans nos dix cantines scolaires au mois de janvier 2009, se souvient Jacques Boutault, maire du IIe arrondissement. Au départ, c'était le mardi ; depuis la dernière rentrée, ce repas sans viande ni poisson a été déplacé pour être inscrit dans la dynamique internationale du Jeudi Veggie. »

Le Jeudi Veggie : une journée sans viande ni poisson lancée en 2009 par l'association belge EVA (Ethical Vegetarian Alternative), qui encourage leur remplacement par des mets végétariens. Dans les cantines scolaires, mais aussi dans les crèches, sur les lieux de travail, dans les restaurants administratifs et commerciaux... Partout où son message d'une alimentation plus respectueuse de l'environnement et du bien-être animal peut être porté. Organisée pour la première fois dans la ville de Gand, cette journée a été ensuite diffusée dans le pays (à Hasselt, Malines, Louvain-la-Neuve, Bruxelles...) puis adoptée dans des villes brésiliennes, américaines, allemandes ou encore françaises.

S'agit-il d'une tendance de fond ? Peut-être. Selon une enquête consommation 2013 du Credoc, plus de 33 % des Français estiment qu'ils réduiront leur consommation de viande au cours des deux prochaines années... et 68 % affirment toutefois que manger de la viande est un réel plaisir (sondage Ifop/Sniv-SNCP de septembre 2014). « Il persiste en France un blocage culturel, estime Jacques Boutault. La simple idée qu'on ne dégrade pas nécessairement la qualité alimentaire avec des repas végétariens est difficile à faire passer. Pourtant, que l'on se place du point de vue de la souffrance animale, des risques cardio-vasculaires liés à un excès de viande, ou de l'impact de l'élevage et des industries associées sur les gaz à effet de serre, il y a urgence à repenser la place de la viande dans l'alimentation. »

Car si le végétarisme ou la réduction de la consommation de viande restent encore aujourd'hui un choix individuel dans les pays occidentaux, ils sont de plus en plus nombreux à penser qu'il en sera autrement demain. Ainsi, en 2013, la branche conseil du groupe Cap Gemini se livre à un exercice prospectif : quels seront les enjeux d'alimentation pour la planète dans quarante ans (en 2053, donc), et quelles sources de protéines pour y répondre ? Les conclusions, qui reposent notamment sur des travaux de la FAO (Nations Unies), sont sans appel : « Produire des protéines animales coûte cher en eau, en terres agricoles ou encore en bilan carbone, explique Cap Gemini Consulting. Si aujourd'hui le monde arrive à peu près à se nourrir, avec de fortes amplitudes des cours des matières premières, la projection des besoins de la population en 2053 est limpide : nous allons tout droit vers un crash des protéines. »

Les données du problème sont d'abord démographiques : en quarante ans, la planète va gagner 2 milliards d'habitants. La demande de protéines animales augmentera donc, d'autant que des pans entiers de la population des nouvelles puissances mondiales (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) accéderont aux revenus des classes moyennes. Avec des tensions très sérieuses sur les besoins de viande, l'un des premiers « marqueurs » de l'enrichissement. Sur ce point, les projections de la FAO tablent sur une production mondiale d'animaux d'élevage doublée par rapport aux niveaux actuels. L'ennui, c'est qu'une telle production n'est pas soutenable : « À surfaces constantes, la projection amènerait à 60-70 % (contre 33 % aujourd'hui) les surfaces agricoles dédiées à l'élevage, ce qui est impossible compte tenu des besoins en glucides et lipides, au-delà des seules protéines ! », pointe Cap Gemini Consulting. L'effet prévisible d'un tel scénario : à l'horizon 2050, une moindre disponibilité des animaux d'élevage, et une envolée des prix des aliments sources de protéines animales.

80% de végétal indispensable

De la prospective à la réalité, l'écart peut être de taille. Mais ces projections questionnent notre alimentation, nos besoins et nos habitudes. Les questions du futur sont celles qui se posent dès aujourd'hui dans nos assiettes : quelles nouvelles sources de protéines pour compenser des protéines animales plus rares ? Comment la restauration, des écoles hôtelières aux convives, des chefs aux chaînes, aborde-t-elle le virage de cette transition alimentaire ?

« Pour équilibrer l'alimentation, il y a des fondamentaux à respecter dont l'industrie agro-alimentaire, mais aussi les restaurateurs, se sont trop longtemps écartés », observe Alain Alexanian, consultant alimentaire et ancien chef étoilé de l'Alexandrin, à Lyon. Pour lui qui lança son premier menu végétarien en 1986, l'équilibre se trouve, sans surprise, du côté du végétal : « Nous ne sommes ni des granivores ni des carnivores, poursuit-il. Pour fonctionner, il est primordial pour un être humain de manger 80 % de végétal, c'est une question de digestion. Ces 80 % de légumes vous apportent déjà 40 des 60 grammes de protéines dont vous avez besoin. Il ne vous reste donc plus qu'à aller chercher ailleurs, dans du carné ou un équivalent du carné, vos 20 grammes restants. »

« Passion carnivore »

Autant dire qu'il reste du chemin à parcourir. En France, comme dans les autres pays occidentaux, la première source de protéines, à domicile et en restauration, c'est encore l'animal. 61 % des protéines présentes dans notre alimentation proviennent des viandes, des poissons, des oeufs et des produits laitiers. Une « passion carnivore » liée, pour Gilles Fumey, enseignant-chercheur en géographie de l'alimentation et des cultures alimentaires à l'Université Paris-Sorbonne, à la très ancienne tradition d'élevage hexagonale : « Il y a un lien aux territoires, en France, qui passe par les animaux. La polyculture a tenu jusqu'à l'exode rural massif des années 1950 et 1960, maintenant des formes de consommation qui se sont diversifiées avec la grande distribution. Cette mutation n'a pas gommé l'attachement à la terre. Il n'y a qu'à voir le succès populaire du Salon de l'agriculture, dont les animaux d'élevage sont chaque année les stars ! »

Pour faire sans la viande, ou plutôt avec moins, la piste principale est le végétal. Car c'est bien dans les performances de l'agriculture française, dans ses céréales, ses légumineuses et ses légumes (épinards, brocolis et choux-fleurs, notamment) que se situent les gisements les plus disponibles et les plus importants de protéines. L'intérêt de ces protéines végétales n'a pas échappé à l'industrie agro-alimentaire : les stratégies de groupes comme l'amidonnier Roquette, qui valorise les composants de cinq matières premières (pommes de terre, maïs, blé, pois et micro-algues) pour un potentiel de 700 000 tonnes de protéines végétales à destination d'applications alimentaires, donne un aperçu des enjeux sur le secteur.

Parmi les produits transformés issus de cette filière industrielle, les « simili-viandes » cherchent à recréer la sensation carnée : par une forme « industrielle », en steaks ou en nuggets, et suivant leur degré d'élaboration, par des propriétés organoleptiques voisines en textures et en goût. Ainsi, le transformateur français Sotexpro propose ses protéines de pois et de soja texturées par extrusion pour leur donner après réhydratation une mâche proche de la viande hachée. Utilisées ensuite par les industriels pour des burgers végétariens, des hachés, elles peuvent aussi venir en garnitures de pains, de nuggets, de pizzas... Cette simili-viande est encore peu utilisée comme fondement de l'aliment par la restauration, où des produits transformés plus simples, également basés sur les protéines végétales, font toutefois leur apparition.

Pavé de lentilles pour les enfants

En alternative aux désormais familiers pavés de tofu ou steaks de soja, de céréales ou de seitan (protéines de blé), la jeune société lyonnaise Ici&Là s'apprête à lancer en commercialisation sa première gamme de produits. Sa cible : la restauration collective ; son offre : des galettes, bouchées et nuggets de légumineuses, riches en protéines, en fibres, en oméga-3, et disponibles en trois recettes. « Notre idée est de tirer parti des qualités nutritionnelles des légumes secs traditionnels que sont les lentilles, les pois chiches et les haricots blancs, tout en les proposant dans des recettes surgelées, pratiques et faciles à mettre en oeuvre, précise Benoît Plisson, ingénieur agroalimentaire et cofondateur de la société. Les légumineuses constituent 60 % du produit, les 40 % restants étant répartis entre céréales (riz) et aromates. » Lauréat du prix Écotrophélia 2013, son pavé de lentilles du Velay, qui n'était alors qu'un projet étudiant, sera présenté à Milan dans le Pavillon France de la prochaine Exposition universelle (du 1er mai au 31 octobre 2015), organisée autour du thème « Nourrir la planète ». Une belle opportunité pour la société, qui peut déjà compter sur un premier client : le restaurateur Mille et un repas, convaincu par l'intérêt de la gamme après une phase de marchés tests menés dans ses restaurants scolaires du mois de janvier au mois de septembre 2014.

Ici&Là ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. Une seconde gamme premium, en frais et avec des légumes et céréales bio, sera adressée aux traiteurs d'ici à la fin de l'année. « On sent que le marché est de plus en plus attentif à ces alternatives, ajoute Benoît Plisson. Particulièrement la restauration collective, qui est à la recherche de produits à la fois disponibles en volumes, et en phase avec les attentes en aliments végétariens, ponctuelles ou non, d'une proportion croissante de ses clients. Dans certains restaurants, 10 % des plateaux présentés en caisse ne comportent que des légumes pour plat principal. Notre gamme peut répondre à cette demande : les tests réalisés grandeur nature montrent, par exemple, que 60 % des élèves interrogés ont beaucoup ou bien aimé manger ce produit. »

Purées de sésame et laits végétaux

Pour les transformateurs comme pour les restaurateurs, l'écueil de ces nouveaux plats, et des nouveaux équilibres qu'ils supposent, c'est encore et malgré tout de les faire adopter. « L'accueil de ces nouveaux menus par les enfants est parfois problématique », reconnaît Carole Galissant, responsable Nutrition pour le segment éducation de la marque Sogeres, du groupe Sodexo, qui supervise depuis 2009 la construction des menus servis dans les dix cantines scolaires du IIe arrondissement de Paris. Cela dit, certains plats marchent plus que d'autres : les pavés de tofu associés à un légume, les chilis sans viande, les quiches végétariennes, les bases de blé ou de pâtes... « Par contre, il y a des associations comme le riz et les lentilles, ou des plats composés tel le couscous végétarien que les enfants ne comprennent pas. De façon générale, tout ce qui est texturé a plus de chances d'être accepté que ce qui peut être trié. Il faut aussi lutter contre la monotonie, introduire de nouvelles sources de protéines : la lentille corail, l'orge perlé, le quinoa... »

Pour les adultes, si l'intérêt nutritionnel des légumineuses et des céréales est souvent mieux compris, et la consommation plus volontaire, il faut faire en revanche la démonstration de leur saveur. C'est à ce défi que s'est attelée, dès 2010, la marque Ansamble, du groupe Elior : « Le personnel féminin et tertiaire des restaurants que nous gérons demandait des recettes plus légères et digestes. Nous avons donc proposé dans une trentaine de sites les Fabuleuses légumineuses, dix recettes de bocaux composés de proportions de viande réduites de moitié, avec des céréales et des légumes secs pour compléter les apports », se souvient Corinne Mbow, directrice marketing d'Ansamble.

Offre flexitarienne

Le succès a été immédiat pour le boudin aux lentilles vertes, le crémeux de maïs au curry et autres. Si bien qu'Ansamble a voulu aller plus loin en proposant, début 2014, une offre complète sans viande, du hors d'oeuvre au dessert, construite sur un principe de produits frais et cuisinés maison... et qui ne séduit pas que les végétariens : « Il faut bien comprendre que pour être viable en restauration collective, une telle offre doit fidéliser les végétariens stricts, mais aussi attirer les convives ouverts à une nourriture végétarienne ponctuelle, sur une journée ou sur un plat : les fameux " flexitariens ". Ceux-là ne viennent sur nos recettes sans viande que si elles sont goûteuses. »

Un point de l'offre particulièrement travaillé, avec deux conseillers culinaires mobilisés pour gagner en goût, recherchant dans les recettes saveurs et textures : épices, herbes, purées de sésame, laits végétaux en substitution légère de la crème fraîche et du beurre... Et ça marche : plus d'un an après son lancement, l'offre végétarienne d'Ansamble est entrée dans les habitudes des convives des 90 restaurants où elle est proposée. À chaque déjeuner, le kiosque dédié « Cuisine alternative » est bien fréquenté, avec des taux de prise allant de 25 % à 40 % pour les recettes les plus appréciées comme le hoummous en hors-d'oeuvre ou les pastas de légumes en plat. « L'avenir va vers ces offres très diversifiées dans leurs sources de protéines, s'enthousiasme Corinne Mbow. Répondre aux attentes des convives demande de bouleverser les schémas classiques, et cela passe obligatoirement par une cuisine maison, plus exigeante en matière de production. Mais le succès de ces nouvelles recettes en dépend. »

De quoi donner des idées à la restauration commerciale ? Les initiatives existent, mais leurs effets d'échelle sont moins importants. Alors que les ventes de viande de boucherie ne cessent de s'éroder, aggravée par les difficultés économiques, et alors que le boeuf a reculé à la troisième place des viandes les plus mangées par les Français (derrière le porc et la volaille), les chiffres ont de quoi surprendre : « Les tendances de consommation à domicile et en restauration peuvent être assez différentes, souligne Maria Bertoch, spécialiste de la restauration chez NPD France. En effet, en suivant les données du panel NPD Crest France sur les cinq dernières années, il ressort que la baisse des visites enregistrée en restauration commerciale (- 4 %, soit près de 240 millions de visites perdues) ne se traduit pas pour autant par un recul de la consommation de viande. » Et le meilleur score va au boeuf, commandé une fois toutes les cinq visites : « La consommation par personne a même progressé individuellement de 3 %, elle s'établit à vingt prises en moyenne par an en restauration commerciale, ajoute Maria Bertoch. L'essor des burgers, qui touche aujourd'hui tous les segments de la restauration grâce à leurs versions premium, explique sans doute en partie ce succès du boeuf. »

L'expérience de restauration conserve ses rites, perpétue le « bien-manger »... et échappe en forme de parenthèse à la frugalité subie de l'alimentation domestique. Mohammed Merdji, professeur de sociologie et d'économie de l'alimentation à Audencia (Nantes), ne s'en étonne pas : « Quand on va au restaurant, c'est d'abord pour se faire plaisir. La viande a une place très particulière dans le répertoire culinaire. C'est un marqueur social et elle reste perçue comme un élément définissant un "vrai repas" : lorsqu'on demande aux gens ce qu'ils entendent par là, ils mentionnent spontanément le tryptique entrée-plat de résistance-dessert, le plat principal étant forcément composé d'une viande ou d'un poisson et de son accompagnement. Le restaurant est un cadre très favorable à ces représentations et à ces comportements de consommation. »

Locavore...

Des concepts émergent toutefois, comme l'enseigne locavore Pur etc., créée en 2011 par Héloïse Chalvignac et Vincent Viaud, tous deux ingénieurs en génie industriel. La viande est discrète sur la carte : « On ne souhaitait pas en mettre dans tous nos plats, aussi bien pour des raisons de bien-être animal que de bilan carbone. Chez nous, on mange beaucoup de légumes et on se sent bien », explique la co-fondatrice. Alors, il a fallu compenser les protéines animales : par du tofu frais et artisanal au départ, « plus compliqué à trouver à Paris dans des prix compatibles avec notre carte », note Héloïse Chalvignac, puis des protéines retravaillées comme le seitan et des légumineuses. Côté goût, le champignon, par sa texture et sa mâche a vite trouvé place dans des recettes maison, associé par exemple à un crumble de courges ou à une base polenta et une sauce tomate pour un boeuf bourguignon revisité. Lorsque la viande est mise en oeuvre, comme dans le hachis parmentier, c'est une viande tracée Bleu-Blanc-Coeur ou en Label rouge, et en moindre quantité. Tous les légumes sont issus de l'agriculture biologique et cultivés dans un rayon de 150 kilomètres autour du restaurant. « L'un des principes de notre offre est de mettre en valeur les producteurs locaux et leurs produits, ajoute Héloïse. On propose une rotation régulière des recettes, que l'on essaie de caler sur les terroirs. Par exemple, des asperges en mai, c'est très apprécié. » Une cuisine maison et de saison qui séduit une clientèle urbaine et plutôt féminine, et qui prospère : moins de cinq ans après l'ouverture de leur premier restaurant à Strasbourg, Pur etc. inaugure son cinquième cette année et se lance dans l'aventure d'un réseau de franchise.

De quoi faire des petits ? En tous cas, la tendance locale a le vent en poupe. Selon l'étude 2013 des consommations émergentes réalisée par L'ObSoCo, 52 % des Français veulent « consommer mieux », notion qu'ils définissent par des produits bons pour la santé, respectant l'environnement, de qualité et locaux. Un « boulevard » peut-être pour les céréales, les légumineuses ou les algues (voir ci-dessous), à condition de trouver les restaurateurs pour les sortir de l'oubli et les valoriser auprès de leurs convives. Jérôme Celle dirige l'entreprise de meunerie Celnat, spécialiste de la première transformation de protéines végétales issues de l'agriculture biologique en farines et flocons. Parmi ses clients, des magasins spécialisés, de grands chefs, mais, entre les deux, finalement peu de restaurateurs : « Les légumineuses peuvent être délicieuses, mais si elles sont mal travaillées, c'est rarement bon, explique Jérôme Celle. Du coup, nous sommes peu présents en restauration collective, sachant que nos produits ne peuvent pas fonctionner en assemblage. Du côté de la restauration commerciale, la transmission des savoir-faire sur les légumineuses - leur préparation ou leur mode de cuisson - ne s'est pas très bien faite, à l'exception bien sûr de la haute gastronomie, où les chefs savent générer avec elles des équilibres parfaits. »

Des formations adaptées

Ce lien avec la haute gastronomie, ce diplômé de l'Institut Paul-Bocuse l'entretient d'ailleurs, venant chaque année à Écully présenter aux étudiants ses derniers flocons, graines à germer et curiosités japonaises. Et l'Institut s'adapte lui aussi aux nouveaux équilibres à venir dans l'assiette : le contenu pédagogique du Bachelor en arts culinaires et management de la restauration est en pleine redéfinition. « Concrètement, ce cursus sera allongé d'un semestre, il passera donc à trois ans, explique Roxane Vella, enseignante-chercheuse en nutrition-santé à l'Institut Paul-Bocuse. Nous mettons au point le contenu pédagogique, qui prévoit notamment un axe santé et durabilité, en complément des enseignements reçus sur les équilibres alimentaires. »

« Trop de viande dans l'assiette », l'expression revient souvent. Trop sans doute pour ne pas se demander si d'importants gisements d'économies de protéines et de micronutriments ne pourraient se trouver dans la viande elle-même ? Cette question, Pierre Weill, co-président de l'association Bleu-Blanc-Coeur, se l'est posée il y a plus de vingt ans, lorsqu'il a fondé la société Valorex, spécialiste de l'alimentation animale. Découvrant (presque) par hasard les effets d'une alimentation animale riche en huile de lin sur la qualité nutritionnelle du lait de vache, et particulièrement sa teneur en oméga-3, il se met à tester tous les types de graines qui ont disparu de l'alimentation animale « L'idée était de sortir du système maïs-soja-blé qui appauvrit les teneurs en micronutriments du bétail », explique-t-il. Aujourd'hui, l'apport d'une diversification du régime alimentaire animal est scientifiquement reconnu et l'association réunit près de 5 000 producteurs autour de sa démarche : « Dans les projections actuelles, je trouve que l'on insiste beaucoup sur les ressources nécessaires à la production de telle ou telle protéine, et on les compare sans examiner ce que ces protéines apportent vraiment à l'alimentation humaine, déplore-t-il. Je suis persuadé que les protéines animales, sous certaines conditions d'élevage et de rendements agricoles, ont un rôle à jouer pour une alimentation équilibrée et durable. »

Une plus-value traditionnelle qui a déjà convaincu plusieurs sociétés de restauration collective. Après le restaurant municipal de Lorient, dont toutes les viandes sont issues de filières de qualité pour un coût matière par repas maintenu à 1,59 E TTC, ce sont tous les restaurants GAM-BNP Paribas et des poids lourds du secteur comme Elior qui s'intéressent à ces sources renouvelées de protéines animales.

35 % des Français pensent qu'ils mangeront moins de viande dans les deux prochaines années. Source : Credoc, enquête conso 2013

43 restaurants végétariens dans Paris en 2014... pour 13 600 restaurants actifs dans la capitale en 2013. Source : profession

3 % Pourcentage des Français qui choisissent un resto pour « manger quelque chose de léger, d'équilibré ». Source : Panel Crest France 2009-2014

4 MENUS AU BANC D'ESSAI EN RESTAURATION COLLECTIVE

Une nette préférence pour la traçabilité apportée par un producteur local, et une très faible proportion de stricts végétariens : tels sont les premiers constats qui se dégagent d'un test grandeur nature mené sur deux restaurants gérés par Ansamble, à Nantes et à Rennes. Pendant quinze jours, 250 volontaires ont transmis les données de leurs plateaux déjeuner afin de mesurer l'impact des messages associés au choix de leurs menus (affiches, pictogrammes, description des plats). L'expérience proposait quatre choix aux convives : - un menu Santé, établi suivant les recommandations du Programme national nutrition santé (PNSS) et centré sur le bénéfice de ses apports ; - un Menu de nos régions, insistant sur l'alimentation naturelle des animaux d'élevage et identifiant éleveurs et producteurs, avec deux options, locale identifiée et « Origine France » ; - un menu Environnement, végétarien, soulignant son faible impact écologique ; - un menu de synthèse, jouant la carte du producteur local, de l'environnement et de la santé. Le traitement des données est en cours. Pour l'instant, ce qui domine le choix de producteurs locaux dans les menus-régions : environ 80 % des personnes ayant choisi ce menu acceptent de payer un supplément de 10 % pour manger local. Il apparaît aussi que très peu de convives n'ont choisi que le menu végétarien. Enfin, aucun autre menu n'a été choisi massivement, reflétant sans doute le souhait de variété dans une alimentation perçue comme équilibrée.

LES INSECTES, UNE SOURCE DE PROTÉINES POUR DEMAIN ?

Aujourd'hui, plus de 1900 espèces d'insectes comestibles sont consommées dans le monde par près de 2 milliards de personnes, selon la FAO (Nations unies). Coléoptères, chenilles, grillons et autres criquets présentent le double avantage d'être très riches en protéines et en nutriments, et de nécessiter peu de ressources (eau, surfaces, alimentation) pour leur élevage. Leur domestication présente un fort potentiel en compléments alimentaires dans les régions où leur consommation ne pose pas problème. En Europe, les freins culturels et réglementaires limiteront sans doute leur rôle à celui de l'expérience culinaire. « En dehors de ces consommations ponctuelles, le marché européen est circonscrit à celui de l'alimentation des chiens et chats », explique Antoine Hubert, directeur de la recherche et de l'innovation d'Ynsect, une société française engagée dans un projet d'entomo-raffinerie.

LES ALGUES, UN FILON ENCORE SOUS-EXPLOITÉ

Les algues vont-elles remplacer la salade dans nos assiettes ? Elles sont riches en sels minéraux et en vitamines, apportent au goût la fameuse « cinquième saveur », et certaines d'entre elles ont une teneur en protéines très intéressante : 47 % de son poids sec pour l'algue Nori, soit autant qu'un oeuf cru ! La France, dixième producteur mondial d'algues (notamment des algues de Bretagne) est aussi le neuvième consommateur mondial* : 180 000 tonnes par an, grâce notamment à la popularité de recettes issues de la cuisine japonaise (makis, soupes miso).Certains transformateurs essaient d'en diversifier les usages, comme la marque Algues de Bretagne de la SARL Globe Export (2 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2014). Son offre, déjà riche en pâtes aux algues ou en pesto et tartares d'algues, s'est élargie l'an dernier avec un nouveau produit à destination des restaurateurs, qui a remporté le Grand Prix Innovation au Sial 2014 : des spaghettis d'algues élaborées avec un jus d'algues gélifié. Mais il reste un frein à la diffusion des algues en France : elles contiennent des polysaccharides et des polyphénols qui compliquent leur digestion. * Étude de marché Breizh'Alg, 2012.

Jean-Michel Lecerf, chef du service nutrition à l'Institut Pasteur de Lille« Il faut modifier le centre de gravité de notre assiette »

Depuis quelques années, les Français achètent moins de viande. Mange-t-on encore trop de produits carnés ? Aujourd'hui, les niveaux de consommation moyens se rapprochent peu à peu des recommandations des nutritionnistes, avec trois portions de viande rouge par semaine. Mais ces moyennes cachent de grandes disparités. Certains Français sont de très gros mangeurs de viande et ne réduisent pas leur consommation malgré les risques pour leur santé ; d'autres, qui en mangent déjà peu, se limitent encore plus sur la foi de discours simplistes, et cela peut aussi être problématique.La viande est-elle indispensable à notre alimentation ? Aucun aliment n'est indispensable à l'équilibre alimentaire, mais il n'est pas non plus indispensable de se passer de viande pour être en bonne santé ! La viande n'est pas un mauvais produit. Au contraire, ses apports en protéines, en minéraux, en vitamines B et en acides gras sont très intéressants. Il est donc plus fécond de repenser le statut de la viande dans l'alimentation. Lorsque vous commandez votre plat au restaurant, dans la plupart des cas vous le désignez par la viande utilisée dans sa recette. Il est sans doute nécessaire de modifier le centre de gravité de notre assiette pour rééquilibrer notre alimentation. Pourquoi ne pas faire des produits carnés un condiment, comme dans la cuisine chinoise traditionnelle ?Quelles sont les nouvelles sources de protéines pour ce rééquilibrage ? La première précaution à prendre, c'est de ne pas envisager ce rééquilibrage seulement sous l'angle des nutriments, et de ne pas mettre de côté l'aliment, les saveurs, le plaisir qu'il peut y avoir à manger. Les aliments sources de protéines végétales sont à valoriser. Le tofu, par exemple, est facile à manger et digeste, même s'il est assez éloigné de notre culture. Certaines recettes mettant en oeuvre les légumes secs (lentilles, pois chiches, haricots blancs...) sont des classiques de la tradition culinaire française, mais leur transmission a mal fonctionné. Elles sont à redécouvrir, quitte d'ailleurs à ce que les proportions carnées y soient revues à la baisse. Je reste en revanche assez circonspect sur les associations de céréales et légumineuses, souvent assez lourdes. Elles ne sont utiles qu'aux végétaliens. Pour les autres, la diversité des sources de protéines, qu'elles soient végétales ou animales, est la première qualité d'une alimentation équilibrée !

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