Maladies professionnelles, mieux vaut prévenir que guérir

Alors que la généralisation de la complémentaire santé pour tous les secteurs sera effective au 1er janvier 2016, Néorestauration a voulu faire le point sur la prévention des maladies professionnelles dans la restauration.

Comment, chacun dans votre secteur, êtes-vous investi dans la réflexion sur la prévention des maladies professionnelles ?

Marc Malenfer Nous nous sommes focalisés sur plusieurs mesures, parmi lesquelles le traitement de l'eau, le rangement des réserves, l'achat de chaussures de sécurité adaptées... Actuellement, nous montons une collaboration avec le groupe Metro, car c'est lui qui fournit le matériel. La gestion intelligente des couteaux, bien aiguisés, adaptés à la tâche, est également l'un de nos chantiers.

Denis Pedron L'encadrement a un grand rôle à jouer. Il doit observer, prévenir et, le cas échéant, proposer des solutions pour lutter contre les maladies professionnelles.

Quels obstacles rencontrez-vous dans la mise en oeuvre de vos projets ?

Philippe Dubois J'ai pu constater, en voyant les opérationnels travailler, la difficulté de leur travail et des gestes répétitifs qui génèrent évidemment des troubles musculaires. Mais il s'est produit un étrange phénomène : quand j'ai présenté Fixacouette, mon invention destinée aux femmes de chambre, en expliquant que cela leur permettrait de s'économiser physiquement sur certains gestes, certains opérationnels ont eu une réaction de rejet, car ils craignaient que, du coup, leur hiérarchie augmente les cadences de travail et leur en demande davantage. Les salariés de l'hôtellerie-restauration sont assez conservateurs, routiniers. Il y a une crainte de la nouveauté.

Marc Malenfer Notre vrai problème, c'est d'arriver à apporter la bonne information aux petits restaurateurs, très éclatés, qui ne sont pas tous adhérents aux organisations professionnelles. 1 250 000 journées de travail sont perdues chaque année à cause des maladies et accidents au travail.

Quels sont les troubles les plus récurrents ?

Marc Malenfer Les TMS (troubles musculo-squelettiques) constituent la seule catégorie de maladies professionnelles reconnue dans la profession. Un millier de maladies professionnelles sont répertoriées, et ce sont toutes des TMS. Le problème peut provenir des postures, avec le cas typique du bac de plonge, très profond.

Denis Pedron Ce sont les articulations qui sont les plus touchées, notamment les genoux et le dos, à cause du port de charge.

Qu'essaye-t-on de prévenir en priorité, et comment ?

Denis Pedron Nous travaillons essentiellement sur les postures. Il faudrait que les écoles hôtelières apprennent aux jeunes à travailler sur la manipulation des charges. Aujourd'hui, il faut savoir utiliser les outils et travailler sur les gestes et les postures. De plus, les salariés évoluent souvent en milieu réfrigéré, ce qui apporte des contractions. Il faudrait avoir une véritable réflexion sur les vêtements de travail, qui doivent les protéger du froid sans pour autant les engoncer. Enfin, de nombreux troubles proviennent de la répétition du geste, notamment sur les chaînes de conditionnement, là où les agents sont postés pour constituer un plateau au patient.

Marc Malenfer Nous allons recommander aux restaurateurs d'adapter la profondeur des bacs, quitte à bricoler en mettant un plat retourné au fond, par exemple. Adapter la hauteur à la tâche et à la morphologie du salarié est une priorité. Sur les gestes répétitifs, nous allons trouver des opérations liées à la découpe, ou encore au séchage manuel des verres, générateur de coupures. Nous allons alors essayer de prendre le problème en amont en incitant les exploitants à travailler sur la qualité de l'eau, afin d'obtenir un séchage parfait en machine. Quant au port de charge, il doit être abordé de manière globale.

Peut-on évaluer les risques psycho-sociaux ?

Marc Malenfer Ils sont bien présents dans la restauration commerciale, avec le stress du coup de feu, par exemple. Il faut également se rappeler qu'ils sont un facteur aggravant des TMS. En effet, les études épidémiologiques nous montrent qu'un haut niveau de stress conduit forcément au développement de certaines maladies, dont les dépressions nerveuses, les troubles cardio-vasculaires et les TMS. Une forte charge de travail combinée à une faible marge de manoeuvre constituent souvent un cocktail explosif. Le manque d'autonomie augmente largement le stress. Nous devons travailler de manière globale sur l'organisation du travail pour réduire ces risques.

Denis Pedron Des psychologues du travail sont présents dans chacun de nos établissements. Tous les partenaires sociaux sont représentés dans les CHST. Le plus difficile à repérer aujourd'hui, ce sont les risques psycho-sociaux. Harcèlement, temps de transport, horaires de travail décalés sont autant de facteurs de stress. À cela vient s'ajouter la précarité que certains opérateurs ont pu connaître par le passé, en enchaînant les CDD. Nous avons monté, au catalogue de formation, des modules de prévention et de connaissance de ces risques psycho-sociaux à destination de nos cadres. Il faut apprendre à reconnaître les signes, que l'on ne voit pas toujours. D'où l'intérêt d'avoir des référents par secteurs, qui connaissent très bien leurs équipes. Il faut savoir qu'en cuisine, nous avons entre 10 et 13 % de taux d'absentéisme.

Quel accueil recevez-vous de la part des responsables quand vous leur parlez de ces risques ?

Philippe Dubois Globalement, les décideurs sont conscients des risques encourus par leurs salariés, car ils constatent de toute façon le fort taux d'absentéisme qui existe dans le secteur, et le turnover élevé. L'état d'anxiété dans lequel se trouvent les opérationnels est une des causes de cet état de fait. Il n'y pas de solution idéale, il faut trouver un juste équilibre, et c'est souvent un vrai casse-tête pour les chefs d'établissements. Les TMS représentent en effet 80 % des arrêts maladie dans l'hôtellerie.

Denis Pedron En collectivité, et plus particulièrement dans notre institution, nous avons la chance d'avoir des ergonomes qui travaillent en lien avec nous sur les problématiques de santé, que nous connaissons bien. Ils travaillent sur la prévention des TMS en réfléchissant sur l'organisation du travail et sur les postes. En milieu hospitalier, les responsables sont plus que quiconque sensibles à la prévention des maladies professionnelles.

Marc Malenfer Le petit restaurateur n'a pas les mêmes préoccupations. Dans un restaurant qui emploie 1 ou 2 salariés, la fréquence des accidents est moindre. Il est très difficile de mobiliser les chefs d'entreprise sur la prévention des risques. On essaye de les convaincre en leur expliquant quels sont les problèmes qu'ils auraient si un de leurs salariés tombait malade. Nous sensibilisons les chefs d'entreprises aux obligations réglementaires, nous les aidons à créer leur document unique grâce à un outil que nous avons mis en place, OIRA, une application informatique qui permet de réaliser de façon interactive l'évaluation des risques professionnels en ligne. L'implication des salariés est déterminante dans la démarche de prévention.

Quelles sont les pistes pour évoluer vers un travail plus sûr ?

Denis Pedron Il faut regarder le bénéfice global dans l'organisation d'une cuisine centrale. Aujourd'hui, on ne peut pas dire qu'on refuse d'investir pour refaire un sol afin de le rendre plus sûr. On explore également des pistes autour du nettoyage vapeur pour empêcher le ruissellement des eaux. On analyse les pentes. La prévention ne coûte jamais rien par rapport au risque humain qu'elle permettra d'éviter.

Philippe Dubois Les opérationnels ont du mal à évoluer, à accepter des solutions qui les aident. Il est compliqué de faire évoluer les mentalités. Quand on a imposé les casques sur les chantiers, je ne suis pas certain que tous les maçons aient accepté d'emblée cet équipement censé les protéger. Il faut de la concertation, de la prise de parole pour faire accepter aux salariés de terrain qu'il existe des outils qui peuvent leur faciliter la vie, sans contrepartie.

Marc Malenfer L'hôtellerie-restauration est le premier secteur concerné par le travail d'urgence, en raison du sous-effectif et de la nature du travail. Il faut savoir que le secteur du CHR est l'avant-dernier secteur à mettre en oeuvre les propositions des représentants du personnel. L'absence de dialogue social dans la structure est un vrai problème. On constate que les TPE de la restauration ont du mal à impliquer leur personnel. La plupart du temps, vu leur taille, ils n'en ont pas. L'évolution passe forcément par un dialogue social cohérent.

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