Livraison : les petits opérateurs affûtent leurs armes face aux géants du secteur

Livraison : les petits opérateurs affûtent leurs armes face aux géants du secteur

Face à la concurrence des grands opérateurs, des petits Poucets misent sur la différenciation pour grignoter des parts de marché.

© Konstantin - stock.adobe.com

Les petits opérateurs du food delivery vivent à l’ombre de géants internationaux. Lutter pour son indépendance, être racheté par une multinationale ou disparaître, les fortunes sont diverses.

Pour ceux qui en doutaient encore, la livraison est bel et bien devenue structurelle. « Elle représente aujourd’hui 20 % du chiffre d’affaires de la RHD », confirme François Blouin, président de Food Service Vision. Rien de bien étonnant tant les consommateurs se révèlent désormais casaniers. « Regarder des séries et des films est devenu l’activité préférée des Français », détaille Rémy Oudghiri, sociologue et directeur général de Sociovision. Sortir au restaurant ne se classe qu’à la quatrième position. Mais l’envolée des prix ne mettra-t-elle pas un coup d’arrêt à cette euphorie ? Pas du tout, à en croire une étude de Deliverect-Censuswide qui montre que 73,15 % des Français achètent aujourd’hui jusqu’à trois plats à emporter par semaine, contre 66,06 % avant la période d’inflation.

L’hypercroissance du food delivery est due à une récurrence plus importante des commandes en ligne, mais également à une plus large diffusion géographique des services. Longtemps exclues, les zones périphériques des agglomérations, les petites et les moyennes villes sont de plus en plus maillées par les grands agrégateurs, à l’image de Dinan (Côtes-d’Armor). La cité bretonne, qui a vu débarquer Uber Eats en 2021, était le terrain de jeu de Resto Sprint, entreprise locale créée en 2019. Cette dernière a dû jeter l’éponge face au géant américain. Mais en octobre dernier, un nouveau challenger, les Coursiers dinannais, s’est déclaré. Cette coopérative de coursiers à vélo, qui avait initialement lancé son activité sur le segment de la collecte de biodéchets, a été créée par François Lemoine, également fondateur des Coursiers nantais. Ce modèle de service de livraison écologique a essaimé partout en France. Coursiers bordelais, coursiers rennais, coursiers brestois, coursiers montpelliérains, ces collectifs d’indépendants se posent en alternative éthique aux multinationales pour lesquelles ils ont souvent pédalé par le passé.

Une meilleure rémunération des livreurs et des restaurateurs

D’autres petits opérateurs n’ont pas choisi l’organisation coopérative mais revendiquent également un positionnement éthique, avec une meilleure rémunération des livreurs et des restaurateurs. C’est notamment le cas de Sacré Armand à Carcassonne (Aude) ou de Frères Toque à Angers. Forte de 40 % de parts de marché dans cette ville du Maine-et-Loire, cette dernière a essaimé au Mans (Sarthe), puis à Tours (Indre-et-Loire). Et, en 2022, à Bordeaux. « Nous avons choisi cette destination, car la ville compte 2 400 restaurants, décrypte Nicolas Dabin, son responsable marketing. Par ailleurs, il y a beaucoup de connexions entre les villes de l’ouest. Les Angevins, étudiants ou entreprises, s’installent souvent à Bordeaux. » 

Implanté à Angers où il détient 40 % de parts de marché, Frères Toque a essaimé au Mans, à Tours et à Bordeaux. © Frères Toque

Les clients sont donc là, mais la concurrence n’est pas en reste. Outre les mastodontes du secteur, deux jeunes pousses sillonnent déjà la préfecture girondine : Delicity et Black Bird. Pour croquer une part de marché, Frères Toque doit séduire les restaurateurs. La start-up vise les enseignes qualitatives travaillant des produits frais. « Nous essayons de remettre l’humain au cœur de la livraison. Notre responsable de développement se rend chez chaque restaurateur et forme les équipes, témoigne Nicolas Dabin. Quant aux coursiers, ils ont une rémunération variable en fonction de la course, ainsi que des primes de pénibilité et de week-end. » Frères Toque, qui compte 13 salariés, espère séduire 45 restaurateurs à Bordeaux et comptabiliser au total 1 000 clients. Et pour l’avenir ? La jeune pousse a en ligne de mire les villes de Nantes et Rennes…

À Lyon, le petit Poucet local s’appelle Lyon Eats. Fondée en 2020, la plate-forme rhônalpine a totalisé pour son premier exercice 13 050 commandes passées auprès de 55 restaurants partenaires, pour un volume d’affaires total de 400 000 euros. Si la quasi-totalité des opérateurs se rémunèrent par le biais d’une commission auprès des restaurateurs, Lyon Eats a choisi un autre business model. Les restaurateurs partenaires s’acquittent d’un abonnement de 39 euros par mois pour accéder, via une application, aux services basiques de livraison mais aussi de click & collect et de réservation de table. « Nous proposons aussi un accompagnement dans la gestion des réseaux sociaux et un service de création de sites web optimisés », précise son cofondateur, Khalis Hadjeres. À ce jour, la start-up compte une centaine de clients dont une soixantaine d’utilisateurs de la solution. Ses perspectives de développement ? « Nous pourrions capter 15 à 20 % des 3 500 établissements, soit 200 à 400, calcule le cofondateur de la plate-forme. À terme, notre objectif est de nous développer dans d’autres villes comme Bordeaux, Marseille et Paris. »

Des segments de marché peu investis par les agrégateurs

Lyon Eats fait feu de tout bois. La start-up vise tous types de restaurateurs. D’autres petits opérateurs ont choisi de quitter l’océan rouge de la concurrence frontale avec les agrégateurs pour l’océan bleu de segments de marché encore peu investis par ces derniers. C’est le cas du parisien Tiptoque positionné sur le bistro et gastronomique dont les packagings léchés en origami s’ouvrent en éventail. Fort d’un partenariat avec Michelin et un portefeuille client de 50 chefs parfois étoilés, l’entreprise créée en 2015 a su s’inscrire durablement dans le paysage parisien. La plate-forme Eatic, elle, a opté pour le 100 % veggie. « Nous ne sommes pas en concurrence frontale avec Uber Eats, Just Eat ou Deliveroo, confirme Benjamin Lanot, fondateur de la marketplace. Nous en avons pris le contre-pied en promouvant une alimentation responsable. » Et la formule fait des adeptes. Depuis son lancement, la food tech a livré quelque 100 000 repas pour le compte de 350 restaurants, à Paris, Lyon et Lille. Une réussite due à un taux de rachat de 60 % chez les 12 000 utilisateurs. « Les grandes plates-formes réalisent 50 % de leur chiffre d’affaires autour de Burger King, McDonald’s et KFC. Très capitalisées, elles dépensent beaucoup de fonds en acquisition clients grâce à des promotions de tous poils », affirme Benjamin Lanot. De son côté, le frugal Eatic a construit sa communauté grâce à un important travail de communication sur les réseaux sociaux. « Nous avons une acquisition organique. L’écosystème d’entreprises et d’associations qui partagent nos valeurs, comme L214, nous offre une formidable caisse de résonance. »

À Paris, Lille et Lyon, la plate-forme Eatic a opté pour la livraison de plats 100 % végétariens. © Eatic

Pour Matthieu Vincent, le cofondateur de DigitalFoodLab, aucun doute, la spécialisation des plates-formes est l’avenir du food delivery. « Waysia, encore peu connu, a une offre qui vise spécifiquement la communauté chinoise », explique-t-il. Fondé en 2018 par deux étudiants, Yejun Fan et Yingfeng Li, cet « Uber Eats » des plats cuisinés asiatiques fédère 800 restaurants. Puis en 2020, la food tech a diversifié son activité dans la livraison de produits d’épicerie ethnique prenant le contre-pied des plates-formes de livraison de produits généralistes. Waysia, qui dessert aujourd’hui 16 villes, a vu son concept validé par deux levées de fonds de 4 millions d’euros, puis de 10 millions. Ses clients commandent en général, au rythme hebdomadaire, un panier à 70 euros.

Rationaliser les coûts

L’écosystème de la livraison inclut aussi le marché des paniers-recettes. Un marché ultradominé par l’allemand Hello Fresh. Les jeunes pousses tricolores y ont connu des fortunes diverses. Si Quitoque a été avalé dès 2018 par Carrefour, Rutabago, spécialiste de la box repas 100 % bio, a convaincu les investisseurs et levé 4,9 millions d’euros depuis sa création. Pour asseoir son indépendance vis-à-vis des grands groupes, la société s’est rapprochée des Commis, autre jeune pousse française. Cette dernière met l’accent sur l’utilisation de produits bruts et locaux, livrés par l’opérateur Chronofresh. Objectif de ce mariage : rationaliser les coûts. Rutabago peut ainsi s’appuyer sur Les Commis pour la création de recettes, les achats et la logistique. À elles deux, les entreprises expédient 2 000 colis par semaine et comptabilisent 700 clients actifs. « Nous ne gagnons pas d’argent, mais nous n’en perdons pas trop, explique Cyril Francin, cofondateur des Commis. Notre algorithme de prévision de commandes nous permet de limiter les pertes, mais nous sommes confrontés à la problématique de frais de structure incompressibles. » Pour être rentable, le duo doit attirer et fidéliser les internautes. « Certains de nos concurrents ne sont pas rentables alors que leur chiffre d’affaires est dix fois supérieur. Hello Fresh concède des remises de 100 euros pour son acquisition client. Nous nous limitons à 20 euros. » Pour toucher de nouveaux clients, Les Commis ont également noué un partenariat avec Thermomix, qui permet aux abonnés d’accéder à des recettes spécialement pensées pour l’appareil électroménager. Rutabago doit réaliser 10 millions de chiffre d’affaires pour atteindre l’équilibre.

L’écosystème de la livraison inclut aussi le marché des paniers-recettes, un segment sur lequel Les Commis s’est rapproché de Rutabago pour asseoir leur indépendance. © Les Commis

Si les Commis s’adressent à une clientèle familiale, Fraîche Cancan vise un autre public : les actifs. Créée en 2017 sous le nom d’i-lunch, cette cantine d’entreprise digitale offre plusieurs solutions. D’abord le click & delivery, puis les frigos connectés et les corners, concurrent direct des classiques restaurants d’entreprise. Avec sa première offre, la start-up propose aux salariés de sélectionner un plat à 10 heures maximum pour une livraison au déjeuner. Elle opère dans toute l’Ile-de-France, notamment dans les déserts culinaires. « Nous sommes rentables à partir de 15 sacs par entreprise », prévient Matthieu Bagur, directeur général de l’enseigne. Et la livraison ? « Nos livreurs sont salariés en CDI. Nous écrasons les coûts en travaillant par clusters et en organisant des tournées par camion. » L’entreprise se rémunère grâce à un abonnement mensuel à l’employeur puis le prix des repas. Les frigos connectés et les corners, eux, sont approvisionnés en liaison froide par son unité de production implantée à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). Avec sa centaine de collaborateurs, la start-up déclare réaliser « plusieurs millions de chiffre d’affaires » pour un total d’un demi-million de repas. D’après Matthieu Bagur, la spécialisation est là encore un bon choix stratégique. « Prenez Journey, spécialisé dans la livraison de repas diététiques pour les sportifs. Ils démarrent très fort. »

Si Fraîche Cancan et Journey conservent leur indépendance, leurs concurrents Seazon et FoodChéri sont passés sous la férule de Sodexo. Et le mouvement de concentration touche un autre pan de l’écosystème de la livraison& : le quick commerce. À commencer par le rachat de Cajoo par l’allemand Flink ou celui de Frichti par Gorillas. Mais derrière ces acquisitions se cache une réalité moins florissante. En 2021, Gorillas a réalisé un chiffre d’affaires de 9,2 millions d’euros… pour des pertes de près de 38 millions. Des résultats qui ne devraient pas s’arranger avec la guérilla que les municipalités françaises lancent contre les dark stores… 
Janvier 2023

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