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Baisse préoccupante des revenus moyens par chambre dans les hôtels haut de gamme, glissement de la clientèle de la restauration traditionnelle de l'hôtellerie économique vers la rapide... Pour conserver ses positions, l'ensemble du secteur doit diversifier son offre et offrir plus d'originalité et de liberté à ses clients.
Le parc d'hôtels restaurants aurait chuté de près de 14% entre 2000 et 2005, selon l'Insee. Un phénomène largement lié à la disparition d'auberges rurales au profit d'une hôtellerie économique moderne urbaine. Même dans le segment haut de gamme, les nouveaux établissements, lorsqu'ils sont de taille modeste, s'efforcent de faire l'économie d'un restaurant. La dernière étude de KPMG Tourisme-Hôtellerie-Loisirs explique partiellement cette tendance. Entre 2003 et 2007, un 4 étoiles a en moyenne vu son revenu par chambre disponible (RevPAR) croître de 25,47%, alors que le ticket moyen de son restaurant suivait à peine l'inflation, avec une progression de 3,88%. À la lecture de ces chiffres, les investisseurs ont clairement choisi leur camp. « Le fait d'avoir deux services, midi et soir, impose la présence de deux équipes, explique Nicolas Grall, consultant en charge de la restauration chez KPMG. Or le taux de captage de la restauration hôtelière au déjeuner est en train de tomber. Certains hôteliers renoncent et n'hésitent pas à distribuer à leurs clients des fascicules leur indiquant des numéros de téléphone de restauration livrée. »
Certains auront une lecture beaucoup plus optimiste de la situation : tandis que la part de la restauration dans le chiffre d'affaires global de l'hôtellerie progresse chez les 2 et 3 étoiles entre 2004 et 2007, elle régresse légèrement dans l'ensemble des 4 étoiles. Des données qui traduisent un très net accroissement des volumes de repas servis en restauration hôtelière. Cette dernière améliore alors ses performances en attirant davantage de clients extérieurs.
Mais il faut également considérer que l'année étudiée, 2007, a représenté une période faste pour l'hôtellerie. En 2008, selon l'étude annuelle du cabinet Deloitte, les RevPAR ont encore progressé, sauf dans la catégorie 4 étoiles, qui marque un recul de 1,8%. En revanche, ce début d'année 2009 voit, mois par mois, toutes les catégories plonger dans le rouge. La situation se révèle particulièrement critique pour les 4 étoiles, dont les RevPAR accusent des baisses mensuelles de 15 à 30%.
« IL FAUT RÉAGIR ET FAIRE PREUVE D'IMAGINATION »
Les résultats de l'hébergement se répercutent mécaniquement sur l'activité de la restauration. Ce postulat est particulièrement net chez Relais et Châteaux, où l'hébergement et la restauration occupent une place pratiquement équivalente dans la structure du chiffre d'affaires. Or, dès 2008, sa restauration chute plus lourdement que son hébergement (- 3,7% contre - 2,8%). Dans ces conditions, 2009 risque d'être mal vécue dans l'ensemble des restaurants d'hôtels.
Même au Meurice, dont le restaurant fut auréolé de trois étoiles Michelin en 2007, le chef Yannick Alléno reconnaît que l'activité restauration devrait marquer un recul par rapport à 2008, tout en s'inscrivant dans la tonalité des chiffres de 2007 : « Il faut réagir, faire preuve d'imagination. Nous avons ainsi mis en place un déjeuner terroir parisien à 90 € dans le restaurant gastronomique. Nous allons différer la rénovation des cuisines. Mais nous parviendrons à préserver la qualité et l'emploi. »
Cette baisse d'activité ne concerne pas seulement la restauration de luxe, comme le fait remarquer Nicolas Grall. « Nous constatons une baisse de gamme dans la demande de la clientèle. Une certaine partie d'entre elle se reporte même de la restauration traditionnelle à la restauration rapide. »
PRÉSENTER UNE IDENTITÉ ET UNE VALEUR AJOUTÉE
Plus que jamais, pour surmonter cette crise, la restauration hôtelière doit aller chercher ses clients au-delà des murs de l'hôtel et accepter la compétition avec l'offre environnante. Ce faisant, elle doit respecter les fondamentaux ainsi définis par KPMG: « l'accueil, la qualité des produits et une ambiance conviviale ». L'établissement doit présenter une identité et une vraie valeur ajoutée, comme un chef réputé ou une thématique forte.
Ainsi, depuis près de trente ans, le célèbre buffet de la chaîne Campanile a permis à l'enseigne de se singulariser. Ce point fort attire un public local qui représente près de la moitié de la clientèle du restaurant. Il y a près d'un an, Louvre Hôtels a confié au chef Pierre Gagnaire et au designer Patrick Jouin le soin de donner une nouvelle jeunesse à ce concept. « Nous partions d'un buffet basé sur le quantitatif, une formule à volonté, explique Benjamin Lacoste, directeur recherches et développement chez Louvre Hôtels. Nous avons suivi une démarche plus qualitative en aidant le client à avoir une approche plus gustative. En cela, Pierre Gagnaire nous a beaucoup aidés à mettre en valeur le goût naturel des produits et à jouer sur la saisonnalité. » Résultat : certaines unités voient la fréquentation de leur restaurant croître quotidiennement d'une vingtaine de couverts. Dans la foulée, le tandem Gagnaire/Jouin a travaillé sur l'offre du petit déjeuner en y apportant davantage d'authenticité dans le choix des produits, avec par exemple des viennoiseries cuites sur place.
Ce parti pris d'efficacité et de simplicité constitue une tendance forte de l'évolution de l'offre. Dès 2007, le concept des Cafés Novotel mettait l'accent sur des cuissons simples et saines, sur la fraîcheur, la saisonnalité et une carte condensée. Un pragmatisme qui devrait encore s'accentuer avec l'arrivée de Frédérique Lardet, ex-présidente du Leaders Club, à la tête de la restauration de la chaîne.
Mais si le client recherche aujourd'hui la convivialité, l'authenticité et la qualité des produits, il veut aussi être libre de manger à sa guise, de passer du fast-food à l'étoilé, et est avide d'originalité. Il est capable de se restaurer sur un divan, au comptoir du bar, sur une table, voire dans sa chambre, à tout moment de la journée. Pour répondre à l'imprévisible, la tendance consiste à déstructurer l'offre classique, à la fois dans l'assiette et dans l'espace. À tel point que l'enseigne Pullman, chaîne 4 étoiles remise au goût du jour il y a deux ans par le groupe Accor, emploie désormais le mot « déstructuration » pour qualifier sa restauration.
PROPOSER DES FORMULES SOUPLES ET INATTENDUES
Ce phénomène est aussi d'actualité chez Suitehotel, la dernière née des enseignes d'Accor, qui invite « à découvrir une autre façon de vivre l'hôtel ». Cette chaîne 3 étoiles n'offre pas de restauration à proprement parler, mais un mode de vie qui s'articule entre l'hôtel et la résidence. Il est possible de s'y restaurer à toute heure dans le hall, près du bar et même dans les chambres, équipées de micro-ondes et de réfrigérateurs. Les clients se fournissent en libre-service dans la boutique gourmande, qui propose des kits gourmets froids, et depuis peu, une ligne de plateaux cuisinés imaginée par la cuisinière Sonia Ezgulian. Cette dernière compose également les recettes des produits mis en avant dans le concept du petit-déjeuner Good Morning. Cette formule offre la liberté de composer son plateau à travers quatre familles de produits repérables par un code couleur.
En matière de petit-déjeuner, justement, de nombreux hôteliers font le choix de l'inattendu, à l'instar du De Tuilerieën, l'un des plus beaux hôtels de Bruges, en Belgique, qui a obtenu l'award du « meilleur petit déjeuner du Benelux » en 2004. Jusqu'à l'an dernier, ce prestigieux établissement de trente chambres ne disposait pas de restaurant. Ce positionnement a amené l'établissement à proposer un petit déjeuner très proche du brunch et offrant par exemple le champagne en libre-service, et une fontaine à chocolat pour les enfants.
Dans d'autres 4 étoiles, la déstructuration prend la forme du dépouillement. Ainsi, au Hi Hôtel, établissement dit « écolo », à Nice, le restaurant a été débaptisé « la Cantine » et sa directrice Laurence Shukor invite des chefs de la région, comme Mauro Colagreco (le Mirazur à Menton), à composer les bol écolos du déjeuner. Divers ingrédients sont disposés dans une feuille de chou. Lors du dîner, un maître sushi prend le relais.
DONNER DES REPÈRES AU CONSOMMATEUR
Alors qu'elle doit faire preuve d'imagination pour séduire la clientèle, l'hôtellerie doit aussi se montrer stratégique. Car si elle base largement son développement sur la force et l'attractivité des enseignes, elle oublie trop souvent d'appliquer ce principe à sa restauration. Le consommateur doit être rassuré, mais il a aussi besoin de repères. Nicolas Grall, consultant chez KPMG, préconise à cet égard un grand pragmatisme. « Avant d'envisager tout projet de restaurant d'hôtel, il faut faire réaliser une étude sur sa faisabilité, comme on le fait systématiquement pour l'hébergement. Il ne faut pas hésiter non plus à concéder. Je pense qu'à l'avenir, nous verrons de plus en plus d'emplacements au pied des hôtels valorisés par des marques externes telles que Maître Kanter ou Au bureau. »
La chaîne Everhotel développe deux bâtiments solo, l'un pour l'hébergement, l'autre pour la restauration. Chez Kyriad et Kyriad Prestige, Louvre Hôtel privilégie deux marques distinctes, Carrousel et la Rose des vents, aux concepts bien adaptés à ces deux chaînes respectivement 2 et 3 étoiles. Mais dans une enseigne où le choix revient finalement aux franchisés, il faut savoir que Carrousel n'est présent que dans le quart des établissements du Parc Kyriad.
LE SNACKING ENCORE AU STADE DE L'ESSAI
Autre réponse aux exigences de la clientèle hébergée, la distribution automatique, qui ne nécessite pas d'augmenter la masse salariale. Pourtant, elle progresse peu dans l'hôtellerie économique, en dehors de la catégorie 0/1 étoile, où elle est bien représentée. Chez Accor, des chaînes comme Formule 1 ou Etap Hotel misent largement sur ces appareils. Au sein de Louvre Hôtels, Benjamin Lacoste est plus nuancé. « Nous limitons la présence de la DA à notre chaîne Première Classe, où nous distribuons des plats cuisinés jusque dans les plus gros établissements. Je suis plus réservé pour Campanile. La DA propose une offre limitée qui ne correspond pas à ce que nous souhaitons présenter aux clients. »
À l'heure où l'hôtellerie économique tente de faire oublier les guichets automatiques impersonnels qui ont marqué ses débuts, la DA ne s'inscrit pas forcément dans l'air du temps. B et B teste depuis un an, porte de la Villette, un concept de B et B Shop qui se substituerait aux appareils automatiques. Deux présentoirs réfrigérés, situés à côté de la réception, proposent des boissons, des sandwichs et des plats cuisinés que les clients peuvent réchauffer dans un four micro-ondes dans le hall. Si la direction ne souhaite pas s'exprimer sur cette expérience, sur le terrain, on évoque des « ventes beaucoup plus significatives que celles des distributeurs automatiques ».
77% DES HÔTELS POSSÈDENT UN RESTAURANT
4,46 Mds €, de chiffre d'affaires en 2007 5,7% du chiffre d'affaires global de la restauration hors domicile 17 721 hôtels de tourisme LES ENJEUX DU MARCHÉ Gagner en compétitivité face à la restauration dédiée Mieux identifier les concepts et répondre aux attentes fondamentales de la clientèle Mettre en place des offres plus originales et plus disponibles Jouer l'effet branding Offrir des réponses 24 h/24 à la clientèle hébergée
Sources : Gira Sic Conseil, Comité de modernisation pour l'hôtellerie française, Insee.
1-RENFORCER LES FONDAMENTAUX : LE VICTOR CAFÉ, LE RENDEZ-VOUS DU TOUT MARSEILLE
En trois ans d'existence, le New Hotel a inscrit son restaurant le Victor Café dans le petit groupe des tables en vue de Marseille. 70 à 80% des convives ne sont pas clients de l'hôtel. Le restaurant, dont le décor moderne rend hommage aux artistes contemporains, est conçu tel un lieu de vie, sans séparation nette avec le bar, et aménagé avec un mobilier lounge. En cuisine, Jérôme Pollo propose une cuisine méditerranéenne renouvelée, avec, entre autres, un velouté de moules coco et curry. Sa formule à 19 € au déjeuner offre un rapport qualité/prix très apprécié. La carte, elle, ratisse large. Le dîner laisse le choix entre une formule à 25 € et des plats plus luxueux, comme l'entrecôte de boeuf façon Kobé, à 42 €. Une carte des vins en biodynamie (lire notre article p. 32) parachève l'aspect tendance du lieu. « Si le succès perdure au-delà du simple phénomène de mode, souligne Sophie-Laure Beaumet, responsable de la communication, c'est grâce à un renouvellement permanent. » À l'image de la récente mise en place d'un brunch dominical au champagne.
L'analyse de Néo Georges Antoun, patron de la chaîne hôtelière, a imaginé un concept en phase avec la génération qui arrive aux commandes de la ville. Mais si cette réussite assure la rentabilité du restaurant, elle ne rejaillit pas forcément sur l'hébergement.
2-DÉSTRUCTURER À TOUS LES ÉTAGES : LE DALI JOUE LA CARTE DE L'ORIGINALITÉ DANS L'ASSIETTE ET LE DÉCOR
Décorée par Philippe Starck dans un univers inspiré de l'oeuvre de Salvador Dali, le second restaurant du palace Meurice affiche une identité forte. Sa carte, imaginée par Yannick Alléno, est en adéquation avec le caractère onirique du lieu. Ici, la volaille fermière, accompagnée de fruits mendiants, cuit dans le tajine. Mais le chef ne veut surtout pas parler de recettes déstructurées : « Au contraire, on déshabille une cuisine classique pour la rendre plus sexy. Certains clients ne jurent que par la légèreté, d'autres rêvent de cuisine canaille. Il faut offrir une cuisine intelligente qui plaise à tous. » C'est ainsi qu'est né le concept Sans et 100, déclinaisons de recettes hypocaloriques et de plats hédonistes. Une frugale aile de raie façon grenobloise s'oppose à une gourmande épaule d'agneau des Pyrénées. Si le Dali est vite devenu un haut lieu de rencontre du monde des médias, de la politique et des affaires, il contribue aussi largement aux 18% de rentabilité de la restauration globale de l'établissement en 2008. Ce service emploie 180 personnes et sert 190 000 couverts par an. Yannick Alléno reconnaît que le restaurant gastronomique de l'hôtel n'est pas rentable en valeur absolue : « Il représente 30% du chiffre d'affaires restauration, mais il mobilise 55% de la masse salariale. »
3-S'APPUYER SUR DES MARQUES FORTES : IBIS, UN VÉRITABLE PORTEFEUILLE D'ENSEIGNES
Si Ibis propose systématiquement un service 24 h/24, 65% de ses hôtels sont dotés de restaurants rayonnant vers l'extérieur, avec une enseigne autonome. « Une étude de marché nous indique s'il existe une clientèle potentielle », explique Dominique Esnault, directrice générale d'Ibis France. Afin de s'adapter à chaque cas, le leader de l'hôtellerie économique européenne décline des enseignes en interne, à commencer par les bistrots Estaminet, dans le Nord, et Sud et Cie, dans le Sud. La chaîne a aussi développé des concepts autour des pâtes - Pasta et Cie -, et autour du buffet - la Table. Elle travaille également en franchise avec Courtepaille (ex-chaîne du groupe Accor), et avec Maître Kanter (groupe Flo), même si Dominique Esnault reconnaît que ces dernières années, « Ibis a plutôt misé sur des concepts internes ». Mais dans le contexte de crise, le volume de clientèle externe fléchit. Ibis a imaginé la parade en généralisant un menu à 10 € midi et soir. « Nous avons aussi abandonné la politique d'entrées, de plats et de desserts à prix uniques afin de ratisser plus large. »
L'analyse de Néo Ibis est l'une des seules chaînes à apporter une réponse pertinente à la restauration hôtelière. Les concepts de restauration forts auraient intérêt à se rapprocher des acteurs de l'hébergement pour tenter d'envisager des développements conjoints.
4-DÉVELOPPER LA DISTRIBUTION AUTOMATIQUE : L'OCÉANIA MISE SUR UN SERVICE ADDITIONNEL
Produits de snacking, sandwichs, boissons, accessoires de dépannage (rasoirs...) : l'hôtel 4 étoiles Océania de la porte de Versailles, qui compte 250 chambres, est une des premières unités de la chaîne à accueillir des distributeurs automatiques. Une démarche qui se révèle positive, à tel point que ces équipements sont systématiquement implantés à chaque rénovation ou création d'un établissement Océania. Porte de Versailles, le taux de prise en distribution automatique des pensionnaires oscille, depuis le début de l'année, entre 10 et 15%. Le taux de pertes de produits se cantonne, pour sa part, à 3% environ. Cette offre vient compléter celles du restaurant et du bar. Pour Guillaume Dumon, directeur général de l'enseigne, « il ne s'agit pas d'un service de substitution, mais d'un service additionnel ». La présence de ces distributeurs automatiques est également rentable pour l'établissement, car elle a permis d'éviter l'installation de minibars dans chaque chambre. Ce qui représente une sérieuse économie d'investissement et évite toutes les problématiques liées à l'hygiène et à la gestion de ces équipements.
L'analyse de Néo Une approche efficace, mais très classique de la distribution automatique, assez proche de celle de l'hôtellerie économique. Dans le cadre d'un 4 étoiles, la démarche mériterait d'être creusée, notamment sur l'originalité des produits.