RUNGIS
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NÉO Comment définiriez-vous l'année 2010 en ce qui concerne l'activité du MIN de Rungis ?
Marc Spielrein - Je ne possède pas encore tous les éléments, mais nous nous situons dans la moyenne honorable. L'année avait plutôt bien commencé. Cependant, deux accidents de conjoncture ont eu un impact négatif : les manifestations d'octobre contre la réforme des retraites, qui ont engendré des craintes sur la pénurie de gazole (- 5 % par rapport à octobre 2009), et la neige de décembre, qui a perturbé le marché, au moins autant pour les clients que pour les approvisionnements. En 2010, les prix ont augmenté, à l'inverse de 2009.
NÉO Et que penser de janvier dernier ?
M. S. - Le premier mois de l'année a été bon, incontestablement. Nous sommes en progression sur la fréquentation et les volumes de 2 ou 3 %, ce qui, sur un marché très mature comme le nôtre, est significatif.
NÉO Comment expliquez-vous ce phénomène de hausse ?
M. S. - Il faut prendre en compte les conditions macroéconomiques telles que le prix du pétrole ou celui des intrants pour les entreprises, et aussi les conditions climatiques sur le volume de la production par rapport à la demande. L'année 2009 a été marquée par le retour à une offre abondante et la baisse du prix du pétrole. Sur l'ensemble de l'année pondérée, l'indice moyen des prix de gros a été de - 4,8 % selon l'Insee, alors qu'il se situerait aux alentours de 5 % pour 2010. Ces années ont montré qu'il s'avérait bien difficile de faire des prévisions. Pour preuve, en 2008, la Banque mondiale et l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) prévoyaient un mouvement de hausse inéluctable des prix...
NÉO Même s'il est difficile d'anticiper, la concurrence s'accroît aujourd'hui avec l'ouverture prochaine d'un deuxième entrepôt Metro dans Paris intra-muros. Qu'est-ce que cela change pour vous ?
M. S. - L'implantation des entrepôts Metro dans Paris soulève un ressentiment certain, pour des raisons historiques, chez les opérateurs de Rungis. En effet, eux-mêmes étaient dans la capitale jusqu'en 1969, avant d'être administrativement déménagés. On leur a alors indiqué qu'ils n'auraient pas de concurrence dans Paris intra-muros, pour des raisons d'aménagement du territoire et de transport. Ils ont donc du mal à comprendre pourquoi, aujourd'hui, on autorise ces activités de commerce de gros alimentaire dans Paris.
Le débat de 2010 trouve son origine dans la directive européenne sur les services qui, pour un ensemble de professions, interdisait les règles restrictives d'établissement. Et s'il tel était le cas, elles ne devaient pas être fondées sur des critères économiques. Le périmètre de référence des marchés comportant des critères économiques, le secrétaire d'État chargé du commerce, Hervé Novelli, avait bâti un texte qui nous paraissait équilibré, mais qui n'a pas été retenu par le Parlement. Du coup, une loi a été votée en 2010, qui comporte une obligation pour le gouvernement de remettre un rapport sur ce nouveau dispositif au Parlement d'ici la fin 2012.
NÉO Au sujet des entreprises établies à Rungis, quelles sont les évolutions concernant leur profil ?
M. S. - Environ 1 200 entreprises sont installées à Rungis. Ce nombre demeure stable, avec un turnover d'environ 60 entreprises par an. En taux d'occupation, nous sommes à 95 %, ce qui est tout à fait satisfaisant. Rungis réunit beaucoup de professions, même si le métier de base reste le commerce de gros. D'autres activités importantes sont implantées sur le MIN telles que la logistique, la transformation finale de produits alimentaires, et, bien sûr, toutes les entreprises de services aux entreprises.
NÉO Et les clients de Rungis, qui sont-ils aujourd'hui ?
M. S. - Ils se répartissent en trois tiers d'importance comparable. Un premier tiers avec le commerce de détail, sédentaire ou marché de rue ; le deuxième tiers avec la RHF, commerciale et collective ; le dernier tiers étant représenté par les centrales d'achats de la grande distribution et le commerce de gros interentreprises. On constate que la RHF progresse, alors que le commerce de détail sédentaire, lui, régresse. Quant au troisième tiers, il se maintient bien. En termes de chiffres, cela représente 6,5 millions d'entrées sur le marché, dont 1,3 million de clients.
NÉO Comment évaluez-vous l'offre ?
M. S. - Elle se compose de plus en plus du produit et du service. La demande d'offre de services croît constamment. C'est une tendance très lourde. Concrètement, le service peut comprendre la livraison ou des conditionnements adaptés à la demande du consommateur. Un nombre croissant de clients sont sortis du schéma traditionnel. Ils ne viennent plus sur « le carreau » pour emporter leurs achats. Ils commandent par téléphone, fax ou Internet et se font livrer.
NÉO Comment répondre d'ailleurs à l'évolution de la restauration, avec l'explosion de la restauration rapide et les chaînes, qui ont professionnalisé leurs achats ?
M. S. - Le service fait partie de l'échelle de valeurs des chaînes, et c'est bien légitime. Nous sommes une base de stockage et de préparation pour les restaurateurs. Avec l'augmentation de la restauration rapide, les conditionnements ont évolué. Quand vous vendez des pommes à un détaillant, vous vendez un plateau de pommes. Quand vous vendez des pommes à un restaurant d'entreprise, vous vendez N pommes de 125 grammes. Si elles pèsent plus de 125 grammes, c'est une perte, et si elles pèsent moins de 125, leur cahier des charges n'est pas respecté. Un plateau de pommes pour un grand de la collective ne représente pas la même chose qu'un plateau de pommes pour un détaillant.
NÉO Après avoir défini les grandes lignes du MIN, pouvez-vous préciser le statut exact de la Semmaris (Société d'exploitation du marché de Rungis) aujourd'hui ?
M. S. - La Semmaris est une société anonyme qui exploite une concession de services publics et d'occupation du domaine public consentie par l'État.
Il y a eu des changements concernant l'actionnariat de la Semmaris en 2007, qui n'ont absolument rien modifié au régime juridique du marché. L'État disposait alors de 55 % du capital de la Semmaris, et en a cédé une partie à Altarea, ramenant ainsi sa participation à 33,4 %. Altarea dispose aussi aujourd'hui de 33,4 % du capital. Ce montant de 33,4 % plus 33,4 % faisant plus de 55 %, la différence s'explique par le fait que la Semmaris avait une dette vis-à-vis de l'État, transformée en fonds propres nouveaux acquis par Altarea. Le résultat de l'opération a été une nouvelle répartition du capital, mais aussi une augmentation des fonds propres de la Semmaris, qui se montent désormais à 50 M E. Le dernier tiers du capital est composé de collectivités territoriales que sont la Ville de Paris, le département du Val-de-Marne et la Caisse des dépôts et consignations. Les opérateurs du marché détiennent 10 %. Globalement, le public possède 55 % de la Semmaris contre 45 % pour le privé.
NÉO Où se trouvent la croissance et l'avenir de la Semmaris ?
M. S. - Nos leviers de croissance se situent en région et à l'international. Nous avons mis sur place des accords de distribution afin de moderniser le marché de gros en Chine. Nous avons des accords de coopération techniques avec le britannique New Covent Garden et l'espagnol Mercamadrid, qui concernent l'organisation des marchés, les mises en commun d'expérience quant à l'organisation des bâtiments. Dans nos métiers, il n'y a que l'échange qui vaille. Toute attitude monodirectionnelle est à proscrire. En ce qui concerne les régions, je pense que le marché sera de moins en moins régional et de plus en plus national. La dimension spécifique du marché régional s'estompe. Les acheteurs viennent à 40 % d'autres régions que l'Île-de-France.
NÉO Quels sont vos prochains
investissements ?
M. S. - Nous venons d'ouvrir le nouveau pavillon de la volaille, qui représente un investissement de 16 M E pour la Semmaris. Nous démarrons un nouveau chantier dans le secteur des fruits et légumes, qui sera livré à l'été 2012, pour un montant de 19 M E. Nous investissons entre 30 et 40 M E par an. Notre parc immobilier représente un million de mètres carrés pour une valeur estimée à un milliard d'euros. On considère que la durée de vie moyenne des investissements s'élève à vingt-cinq ou trente ans. Actuellement, nous réfléchissons à la manière d'utiliser l'emprise de l'ancien pavillon de la volaille.
NÉO Sur les produits justement, en tant qu'observateur, que pouvez-vous dire des tendances bio et halal ?
M. S. - Sur le bio, la demande est significative mais elle reste plutôt militante et non gustative. Elle se construit avec une composante culturelle et idéologique. L'agriculture bio utilise davantage de main-d'oeuvre que la traditionnelle ou la raisonnée. Or, le gros problème de l'agriculture française, c'est le coût de la main-d'oeuvre. En dépit d'un prix parfois plus élevé, on sent que la demande des consommateurs tend vers l'identification de la production locale et nationale. En tout état de cause, la production française n'est pas compétitive dans le secteur du bio. Le rôle du marché de Rungis n'est pas de dicter un mode de consommation. Nous ne sommes pas des normateurs mais des observateurs, et nous essayons d'avoir une offre large qui couvre l'ensemble des demandes.
Quant au halal, qui représente une part significative d'activité du secteur des produits carnés à Rungis (20 % du chiffre d'affaires), je ne suis pas sûr qu'il augmente beaucoup dans les années à venir. Les consommateurs halal sont peut-être plus regardants sur l'authenticité de l'étiquette, car il n'existe pas de législation d'ordre public pour le secteur. Rien ne définit légalement ce qu'est une viande halal en France.
NÉO Comment voyez-vous l'avenir du secteur alimentaire avec la pression croissante exercée par tous les lobbies antiviande et autres ?
M. S. - Il faut distinguer la tendance de fond et les mouvements d'opinion de mode. Les tendances structurelles, les habitudes demeurent plus importantes que les mouvements ponctuels de mode. Les consommateurs souhaitent disposer de produits frais voire ultrafrais mais prêts à l'emploi. Cette tendance de fond se retrouve aussi bien dans la consommation à domicile que celle en RHF.
DE CHIFFRE D'AFFAIRES EN 2009 16 M E INVESTIS DANS LE NOUVEAU PAVILLON DE LA VOLAILLE
7,767 Mds E de chiffre d'affaires 1 199 entreprises 11 948 salariés 232 hectares aménagés de superficie 1 462 191 d'arrivages en tonnes de produits alimentaires 6 585 809 entrées en fréquentation du marché 18 millions de consommateurs desservis 1 034 605 m² de locaux loués soit 95,29 % de taux d'occupation 3 978 créations de cartes d'acheteur soit +8,8 % de nouveaux acheteurs par rapport à 2008