© Photos: Réa, Hélène David et DR
Manger dans un parc en été, dans un taxi en route pour l'aéroport, à son bureau devant son ordinateur, sur un coin de bar avant de monter dans un train, en marchant dans la rue... Le client nomade est, par définition, mobile. Mais pas seulement. Il multiplie ses lieux d'achats au fil de ses déplacements et de ses envies sans règle précise. Par commodité, par choix ou par contrainte, il mange sur le pouce. Comme le soulignait Christine Tartanson, manager Foodservice France de NPD Group, lors de la présentation de sa dernière étude (1), le temps consacré au déjeuner ne cesse de se réduire. Rappelons qu'il était de 38 minutes en 2003 contre 1 h 38 en 1975 (2).
Le temps du déjeuner est d'ailleurs, pour les actifs, bien plus qu'un temps pris pour se restaurer. « Le terme no made s'inscrit dans une dimension large qui recouvre en fait une explosion des pratiques. Les clients sont aujourd'hui dans une forme d'éparpillement dans tous les domaines, et l'univers de la restauration est, lui aussi, concerné par cette tendance. Le temps du déjeuner est le temps du "je". C'est un moment dont l'individu a une maîtrise totale. L'heure du déjeuner est une heure en soi, et à soi », expose Bruno Marzloff, fondateur du groupe Chronos. Loin de sa sphère familiale ou de son autorité de travail, la personne active dispose à midi d'un temps très singulier. « C'est une heure qui symbolise pleinement le pouvoir de régir ses propres organisations », ajoute-t-il. Selon les individus, ce temps est donc occupé de différentes manières. En fonction des envies et des désirs de chacun. Courses alimentaires, achats de cadeaux, réservations pour des spectacles, recherches sur Internet, activités sportives. Le temps de la pause devient polychronique : les consommateurs mangent un sandwich et, en même temps, font du lèche-vitrines ou passent à la bibliothèque. Face à cette accumulation, les prestataires ont répondu par une démultiplication de l'offre. En diversifiant les enseignes et les formats de restauration.
Manger rapidement, ne pas prendre le temps de s'attabler au restaurant, c'est une façon d'accroître son temps personnel. « Je me reconnais pleinement dans la notion de client nomade car j'ai toujours mille autres choses à faire à midi, et j'aime également marcher. Il n'y a qu'en hiver où je mange chaud », reconnaît Anne Doublet, responsable photo à Paris. Flâner, être actif, ou les deux ? « Je mange une à deux fois par semaine dans la rue. Cela me permet de faire du shopping ou de réaliser des démarches. C'est avant tout pour gagner du temps », confirme Pascale Balian, graphiste à Marseille. En effet, si le temps pris pour déjeuner n'a cessé de se réduire, en parallèle, l'individu n'a jamais disposé d'autant de temps libre. Il est donc en perpétuelle recherche de meilleures commodités afin d'optimiser ce moment. Maximiser la pause pour faire autre chose est donc un leitmotiv chez les actifs. Et le phénomène est loin d'être exclusivement féminin.
« Quand je fais le choix de ne pas manger assise au restaurant, c'est pour utiliser le temps du déjeuner comme un temps de loisirs. Il faut que cela soit rapide et pratique », explique Florence Denneulin, chargée de communication à Paris. Avec ces critères, c'est souvent le sandwich qui est plébiscité. En une vingtaine d'années, on a assisté au développement de la vente de sandwichs par les boulangeries artisanales et industrielles. À Paris et en Île-de-France, on mange chaque jour trois fois plus de sandwichs qu'en province. « Je cherche le produit le moins calorique possible et le plus goûteux. Un bon sandwich ou une tarte salée. Mais je peux aussi opter pour une assiette de nouilles ou une soupe sur un coin de table dans un restaurant chinois », précise-t-elle.
Quant à la « formule », elle a ses adeptes car elle inclut un dessert et une boisson, pour un ticket moyen qui correspond souvent au montant d'un titre-repas. Mais elle compte aussi ses détracteurs. « Je n'ai pas assez d'appétit pour une formule complète, et puis je les trouve vraiment chères. Manger dans un square ou dans la rue, c'est une commodité. Mais je préfère m'installer au restaurant », regrette Agnès Deschamps, chargée de projet dans le Val-de-Marne. Souvent jugées excessives en terme de prix, les formules offrent aussi un choix limité. Et composer soi-même son menu est, au bout du compte, assez ruineux, sachant qu'au final on demeure relativement loin des apports nutritionnels nécessaires pour un adulte, surtout si on reproduit ce mode d'alimentation tous les jours.
En attente d'une offre plus interessante Capter le client nomade est donc loin d'être facile. Depuis une dizaine d'années, on assiste à des transformations profondes du modèle alimentaire français organisé autour des trois repas quotidiens pris en famille et du menu constitué d'une entrée, d'un plat et d'un dessert. Manger partout et tout le temps est un phénomène qui tend à s'imposer, même si certaines disparités géographiques (plutôt urbain) et sociologiques (jeunes, CSP +) perdurent. « Aujourd'hui, "l'individu Gore-Tex" régule sa consommation en fonction d'un système de valeurs qu'il peut modifier. Il souhaite avoir le choix absolu, c'est-à-dire permanent. Il cherche à mettre du sens dans son assiette », conclut Nathalie Brion, sémiologue, et présidente du cabinet Tendances Institut. (1) Les nouvelles formes de restauration commerciale, rencontres Géco du 25 novembre 2005. (2) Le déjeuner des Français-Baromètre 2003, sondage Ifop réalisé pour Eurest France/ Néorestauration sur le déjeuner des actifs (Néorestauration n° 404). Source : Credoc, 2004, échantillon de 1 871 adultes Trois questions à..Olivier Pichot, directeur de Gourmet Consultants La notion de client nomade a-t-elle un sens ? La clientèle nomade est en train de naître, elle existe et ne va faire que grossir dans le futur. Cette terminologie est, en fait, à double sens. Le client est nomade dans le temps et dans sa gestuelle. Il est également nomade à travers les découvertes alimentaires qu'il effectue. Il est « zappeur » et modifie ses habitudes culturelles. Comment un prestataire peut-il retenir son attention ? Pour capter le client, il faut aujourd'hui aller très loin et prendre des risques. La carte d'un restaurant doit tourner en permanence. Il ne faut pas enfermer les gens dans un concept mais au contraire leur proposer des choses qui vont les surprendre. Il ne suffit pas de créer de bons outils... À Londres, Madrid et Barcelone, on est déjà dans cette tendance. Quant à Berlin, les nouveautés s'y développent. La France serait-elle en retard ? Les Français sont les empereurs de la restauration mais, sur le terrain, on constate un certain décalage. Le « take away » est assez triste et manque d'originalité. Le public est en attente de nouveautés, de parfums et de produits existants mais à redécouvrir d'une autre manière. Globalement, il attend des produits simples, naturels et authentiques. Il est inutile de proposer une offre compliquée. Avec quelques ingrédients, on peut répondre à la demande des clients qui ont un temps limité pour manger, et qui se trouvent rarement au même endroit tous les jours. Lieux de consommation des clients de la restauration Attention ! La restauration traditionnelle comprend les formes suivantes : cafés, brasseries, fast-foods, traiteurs, hôtels, restaurants, cafétérias. La restauration moderne représente : boulangeries, sandwicheries, stations service, magasins, autre restauration rapide et livrée, cinémas et musées. Source : NPD Group, Panel CREST France, octobre 2004-août 2005
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Pratique, rapide et savoureux:
Le déjeuner: un temps pour soi