« No kid allowed ! » Alors que certains établissements outre-Atlantique bannissent purement et simplement les enfants de leurs murs en l'annonçant tel un argument commercial, la restauration française, assise et rapide, n'a jamais été aussi avide de recevoir nos chères têtes blondes. Les chiffres de NPD sont formels : en restauration commerciale, 10 % des consommateurs sont des enfants de moins de 15 ans, et leur dépense moyenne, de 5,60 E, est inférieure à celle de toutes les tranches d'âge confondues, qui se monte à 6,41 E. Avec des menus enfant aux prix de vente plus bas et des portions moindres, les enfants restent néanmoins une cible de choix pour les restaurateurs, qui voient en eux de formidables prescripteurs. « Chaque enfant porte en lui le reflet de certaines volontés inavouables de leurs parents », souligne le sociologue Jacques Martial. Une aubaine pour les grands qui voudraient se délecter de barbe à papa, de glace à la fraise Tagada ou simplement d'un bon gros burger bien gras...
Pas au-delà de 12 ans
Selon le cabinet de conseil-études en marketing-vente LaborAction, toutes les grandes enseignes de la restauration commerciale proposent au moins un menu enfant (11 % en proposent un, 33 % en proposent deux). 40 % des enseignes y ajoutent une surprise. Ces formules sont principalement réservées aux moins de 12 ans. Courtepaille, de son côté, propose des menus pour les adolescents (jusqu'à 15 et 18 ans). Une curiosité. « Passé 12 ans, l'enfant devenu adolescent mange comme un adulte, souligne Isabelle Guimard, directrice associée de LaborAction. C'est pourquoi ce type d'offre n'est pas très répandu. » LaborAction indique que 89 % des menus proposés se composent de deux items, et de trois items pour 11 % de l'ensemble des menus enfant. Ils sont généralement accompagnés d'eau, d'un cola ou d'un jus de fruits.
Consommateur et prescripteur
Les familles, qui représentent 25 % de la fréquentation des chaînes, selon LaborAction, sont un véritable levier. Comme le souligne Isabelle Guimard : « Les professionnels de la restauration assise ne recherchaient pas spécialement les enfants, qui génèrent du bruit, et qui occupent de la place. C'est plutôt la contrainte qui les a forcés à récupérer cette clientèle. On peut souligner la précocité de Léon de Bruxelles, qui s'intéresse depuis très longtemps aux enfants, avec des coins dédiés, isolés, avec des portes en verre, mis en place dès la construction d'un bâtiment solo. Preuve que les enfants entrent dans une stratégie globale. Même réflexion chez Buffalo Grill, devenue une enseigne très prisée des familles. » Chez l'enseigne far-west, le menu enfant est proposé à 4,90 E. Un argument qui sait séduire les parents. Sauf que « ce menu ne comprend pas de boisson. Si vous en ajoutez une, vous retombez dans la moyenne », précise Isabelle Guimard.
Tous ces efforts prouvent à quel point les restaurateurs ont compris l'importance de cette cible. Selon le cahier de tendances Gira Conseil, « les lieux extérieurs au cercle familial sont un moyen pour l'enfant de consolider ses connaissances alimentaires et les normes acquises, mais aussi d'en assimiler de nouvelles. Les restaurants sont des lieux de découverte. L'enfant est un client important. Il occupe deux rôles : celui du consommateur et celui du prescripteur, avec un pouvoir d'influence considérable sur ses parents. En restauration, les démarches de séduction et de fidélisation tournent autour de quatre éléments : le service, l'ambiance, l'attention apportée à l'enfant et la recherche de personnalisation à travers les actions mises en place. »
Si les chaînes ont toutes progressé ces dernières années, tant sur la qualité des menus et leur diversification que sur les structures d'accueil, les jeux, les cadeaux..., il reste des choses à faire. Pas de surprise du côté de l'offre : c'est toujours le steak haché qui décroche la timbale en restauration assise, avec 12 apparitions sur les cartes en offre enfants sur 9 enseignes (données Foodservice Vision). Viennent ensuite le poulet frit type nuggets, présent 10 fois chez 8 enseignes, suivi par les morceaux de poulet non frits, avec 7 apparitions sur 4 enseignes, les burgers, avec 6 apparitions sur 5 enseignes, et le jambon grillé, présent 6 fois dans 4 enseignes. Quant au sandwich, il reste consommé essentiellement à l'heure du déjeuner. Mais c'est un produit plutôt « adulte », les enfants en mangent moins souvent que les burgers, par exemple. Enfants végétariens, passez votre chemin !
Des aires de jeux pour fidéliser
Rien de révolutionnaire non plus concernant les accompagnements. Les frites sont systématiquement à la carte, avec du riz, des haricots verts ou des pâtes. En restauration rapide, ces dernières arrivent en cinquième position des produits les plus fréquents, avec 2 apparitions sur les cartes dans 2 enseignes, selon Foodservice Vision. Les chaînes mettent également en avant leurs spécialités. Léon de Bruxelles suggère par exemple une petite cocotte de moules. L'enseigne arrive d'ailleurs en tête pour ce qui est de la diversité de l'offre, avec 14 choix de produits, suivie par les Trois Brasseurs (11 produits) et Hippopotamus (10 produits), pour une moyenne de 7,5 produits.
Quant aux desserts, on retrouve la glace, présente 24 fois dans 11 enseignes, la compote, avec 14 apparitions dans 8 enseignes, le yaourt et le fromage blanc, 11 fois dans 6 enseignes, la mousse au chocolat, 7 fois dans 4 enseignes, et le gâteau au chocolat, 5 fois dans 2 enseignes.
Les offres adressées aux enfants tendent aussi à se développer sur différents moments de la journée. Cet été, Subway sera présent à chaque instant, avec le « petit déjeuner junior », le « goûter junior », et le « menu junior ».
D'autres mastodontes ont, depuis longtemps, appliqué des recettes gagnantes. McDonald's a toujours axé sa politique sur l'enfant, premier prescripteur commercial. Ces derniers étant très influençables, l'enseigne mise sur le personnage du clown Ronald, créé en 1963, dont la vocation est de familiariser les petits avec l'univers du restaurant, de les mettre à l'aise afin qu'ils aient envie d'y revenir. Le restaurant devient une attraction, qui intègre même des aires de jeux dans la plupart des McDonald's. L'enfant ne vient pas seulement consommer des aliments, il vient aussi pour jouer. La clientèle enfantine est ainsi fidélisée, et continue de fréquenter l'enseigne étant adolescente, puis à l'âge adulte.
Certaines chaînes misent aussi sur les contrats de licence de marque pour attirer les enfants. Hippopotamus s'est adjoint les services du Petit Nicolas pour se rappeler au bon souvenir de nos chères têtes blondes, alors que Subway a lancé son menu Kids' Pak en partenariat avec Disney, en avril 2013.
Une demande fluctuante
Mais pour les indépendants qui développent des concepts dédiés directement aux enfants, la réussite ne va pas de soi. Après trois ans et demi d'activité, l'un des lieux de restauration destinés aux enfants à Paris, le Café Grenadine, s'apprête à mettre la clé sous la porte. Un constat qu'explique Julie Boudin, propriétaire et exploitante de l'établissement : « Le véritable problème sur ce type d'activité, évidemment très liée au rythme des enfants, c'est la fluctuation de la demande. En effet, en période scolaire, il y a très peu de fréquentation, alors que nous connaissons d'énormes rushs le samedi et le dimanche. » Si le besoin est réel, le modèle économique est complexe, surtout quand il faut faire face aux charges et loyers parisiens. « Contrairement à la restauration classique parisienne, nous travaillons énormément pendant les vacances, et les clients viennent parfois de loin pour nous voir. Mais nous devons démultiplier les activités pour être rentables, souligne Julie Boudin, qui avoue que 80 % de son chiffre d'affaires sont générés par la restauration, et le reste par la vente de produits dans l'épicerie spécialisée accolée à l'établissement. Personne ne deviendra riche avec ce concept. Cela pourrait marcher dans un format intégré à de la restauration classique. Imaginez une grande brasserie classique proposant une aire de jeux... Mais les restaurateurs ne sont pas toujours prêts à accueillir ce type de population, et ils ont peur de faire fuir les hommes avec le bruit des enfants. »
« Le café des enfants »
Autre exemple issu du milieu associatif cette fois, avec le Cafézoïde, installé dans le 19e arrondissement de la capitale. Ce lieu, qui se définit comme le « café des enfants », propose mille et une activités, en plus d'un espace café pour les parents. Créé en 2002, le concept a fait florès, et une trentaine de cafés des enfants sur le même modèle ont vu le jour de par le monde. Un développement qui repose en partie sur le bénévolat... « Le concept plaît et répond à un vrai besoin. Les enfants s'amusent, tandis que les parents profitent d'un moment de tranquilité pour se retrouver entre eux. En revanche, il est difficile d'avoir de grandes surfaces à Paris, et les produits se vendent en petites portions... », explique Anne-Marie Rodenas, présidente de Cafézoïde. Faire du bénéfice avec les enfants s'avère donc compliqué.
D'autres concepts existent. Ils s'appellent Casa Luca, Pendant que les enfants jouent, ou encore Les 400 Coups. Dans ce dernier restaurant « kid's friendly », tout est fait pour que les parents dégustent leurs plats tandis que les enfants qui ont déjà fini leurs jolies assiettes en forme de bonshommes jouent dans les aires de jeux : une petite cuisine pour faire comme les grands, une table pour dessiner et faire des puzzles, et un coin lecture pour se reposer et regarder des images.
Un moment de lâcher-prise
Et la nutrition dans tout ça ? Il semblerait, à la lecture des offres proposées, qu'elle soit bien le parent pauvre de la restauration commerciale destinée aux enfants. Comme le souligne Jacques Martial, « les constants efforts prodigués par la restauration collective, soutenus par une communication efficace et ciblée mettant en avant l'ensemble des initiatives en faveur de la nutrition dans les restaurants scolaires, amènent les parents à baisser la garde quand ils se rendent au restaurant avec leurs enfants. Finalement, le moment passé en famille au restaurant est davantage vécu comme un instant de loisir, où le jeu et le divertissement prennent autant de place, sinon plus, que le contenu de l'assiette. Il est extrêmement rare, d'ailleurs, que les parents s'opposent aux choix de leurs enfants, quand ils sont en âge de le faire. Pour les parents, emmener les enfants au restaurant est vécu comme un moment de détente, qui leur permet de s'affranchir, le temps d'un repas, des tâches ménagères ou du casse-tête que peut représenter l'élaboration d'un repas équilibré et complet à la maison. On est dans le lâcher-prise. Les parents se donnent bonne conscience en se remémorant les cinq repas que leurs enfants prennent à l'école et qui leurs donnent toutes les garanties de nutrition et d'alimentation-santé ».
La nutrition, le prochain chantier ?
Sur le sujet, les efforts de communication des grandes enseignes sont relativement récents. McDonald's communique depuis peu de temps sur les vertus des fruits en fin de repas, mais chez la plupart des enseignes, il n'y a pas, ou très peu d'indications nutritionnelles ni même de conseils de bonnes pratiques alimentaires. Il y a fort à parier que les opérateurs planchent ou plancheront très prochainement sur le sujet, car les jeunes parents semblent davantage en demande que la génération précédente. « Quand j'emmène mes enfants au restaurant, je regarde très attentivement la carte, et j'essaie d'aiguiller leurs choix, même si je n'impose rien, souligne Emmanuelle, une mère de famille de 36 ans. Et parfois, contrairement aux menus extrêmement détaillés que nous avons, qui précisent la provenance des produits et parfois leur teneur nutritive, les cartes enfants sont bien succintes », constate-t-elle. Le chantier de demain pour les enseignes ?
25 % La part de fréquentation des familles dans les chaînes Source : LaborAction
40 % La part des enseignes proposant un menu avec une surprise7,5 Le nombre moyen de produits proposés dans l'offre destinée aux enfants dans les chaînes Source : LaborAction
43 % La part des mères d'enfants de moins de 12 ans allant au restaurant une fois par mois9 % La part des mères d'enfants de moins de 12 ans allant au restaurant toutes les semaines Source : LaborAction
7,55 E Le prix moyen du menu enfant à Paris6,89 E Le prix moyen du menu enfant en province Source : LaborAction
89 % La part des menus enfants composés de deux items en restauration commerciale Source : LaborAction
Tributaires des rythmes scolaires, les enfants sont une cible difficile à capter. Les professionnels du tourisme ont réclamé au ministre de l'Éducation, qui prévoit d'assouplir la réforme sur les rythmes scolaires, l'instauration d'un zonage dans le cas où la durée des vacances estivales passerait de huit à six semaines. « Les professionnels du tourisme rappellent que la détermination des vacances scolaires, si elle répond à des impératifs pédagogiques, a des impacts importants sur l'emploi touristique français, qui représente 2 millions d'emplois directs et indirects », indique un communiqué de l'intersyndicale des professionnels de la restauration et du tourisme. Ils réclament que le gouvernement accompagne « l'éventuelle réduction des vacances estivales par l'instauration d'un zonage, afin de pouvoir accueillir et recevoir les touristes dans les meilleures conditions », ainsi que le maintien des « week-ends de deux jours pleins pour les activités en famille ». Ils souhaitent voir « les vacances d'hiver en février et les vacances de printemps au mois d'avril ».
Selon Foodservice Vision et l'outil Foodservice Tracking, alors que 9 enseignes sur 12 augmentent significativement leurs prix sur la carte été 2014, le menu enfant est lui épargné, avec 11 enseignes sur 12 qui maintiennent leurs prix. Parmi ces enseignes, on retrouve Buffalo Grill, Hippopotamus, Ibis, la Pataterie, la Boucherie, Léon de Bruxelles, Pizza Paï, Novotel Café, Campanile, Del Arte et Poivre Rouge.