Thierry Poupard propose de réhabiliter le pourboire... à condition de tuer son nom. Mieux vaudrait alors parler de salaire, d'intéressement ou de prime à propos de ce qui figure sur la feuille de paie et réserver le terme de « service » à ce supplément de rémunération, estime-t-il.
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Chronique bimensuelle n°31 du 15 décembre 2007
La restauration conserve une bonne image auprès des jeunes, mais ils la jugent toujours très sévèrement en termes de salaire. Ce qui est assez légitime à une période où le pouvoir d'achat est la préoccupation principale des Français. Mais les questions de rémunération sont toujours complexes et elles revêtent un caractère particulier dans cette profession.
Comme dans tous les secteurs d'activité il existe des grilles de salaires, des échelons, des coefficients, mais viennent s'y ajouter les notions spécifiques de service et de pourboire. A l'opposé, les Américains au pragmatisme légendaire fonctionnent avec un système d'une incroyable simplicité dans lequel le service, qui est dans la majorité des cas pour la restauration à table l'unique rémunération du salarié, est laissé à l'entière appréciation du client. Ce qui permet à celui-ci de clarifier sa dépense entre, d'une part, ce qui revient au restaurant et, d'autre part, ce qui va à la serveuse ou au serveur. Même, et surtout, sur les reçus de carte bancaire sur lesquels figure l'emplacement pour ajouter à la main le montant du « tip » que l'on souhaite laisser. Ce qui explique que le touriste américain soit légèrement embrouillé lorsqu'un serveur lui signifie que le service est compris mais pas le pourboire...
En France, où rien n'est simple et où les prix de la restauration sont très élevés, le client, disons un tant soit peu conservateur (donc la majorité), pense mordicus qu'il n'y a pas lieu de laisser quelques pièces ou un billet sur la table puisque, depuis toujours, il sait - on lui a dit - que « le service est compris ». On ne refait pas l'histoire et, pourtant, ce serait utile. Tout d'abord, il y a un vrai problème avec le terme « pourboire » qui, issu de temps ancestraux, a été totalement vidé de sa substance et a une connotation péjorative, voire négative. Ensuite, l'expression « service compris » est un abus de linguistique avéré : le salaire du personnel est logiquement inclus dans un prix de vente, alors que le service ne devrait pas l'être parce que, s'il n'y a pas de bon ou de mauvais salaire, il existe bien un bon et un mauvais service, le premier méritant rémunération et le second pas. On parle également de « droit de service », notion en vigueur dans un certain nombre d'établissements. C'est encore une terminologie à contre emploi car on se demande ce qui peut bien justifier l'existence d'un « droit » à propos d'une prestation qui, encore une fois, peut être bonne ou nulle. Alors que le droit à un salaire est une évidence puisque la notion de droit est de nature revendicative. Réciproquement, il serait logique qu'il y ait un « devoir de service ». Chose impensable tant il est sûr que l'on préfère avoir beaucoup de droits et un minimum de devoirs... Celles et ceux qui un bon sens du service réalisent les ventes les plus élevées et obtiennent les meilleurs pourboires. Imaginons un restaurant traditionnel qui réalise 50 couverts par repas avec une moyenne de trois convives par table. Eh bien, si un bon service se traduit par un pourboire supérieur de 1€ par addition (ce qui est peu), cela fait 17€ par service. En un mois, le pourboire du personnel aura augmenté de quelque 7 à 800€ ! Net de charge, net d'impôt ! Et il ne faut pas perdre de vue que la restauration est l'un des rares secteurs d'activité dans lequel il existe un système de gratification institutionnalisé pour le personnel, même s'il s'est affaibli.
Voilà pourquoi il faudrait modifier les règles d'usage du vocabulaire, mais aussi de la profession et, sans doute, de la société toute entière... La moindre réforme revêt des proportions considérables. Ce serait bien de réhabiliter le pourboire, à condition de tuer son nom. Ce deviendrait clair de parler de salaire, d'intéressement ou de prime à propos de ce qui figure sur la feuille de paie et réserver le terme de « service » à ce supplément de rémunération que chacun peut obtenir par la qualité de sa prestation. Si le futur taux unique de TVA est suffisamment bas pour que les restaurateurs puissent faire bénéficier d'une partie de cette baisse le client, celui-ci sera plus enclin à laisser un peu plus que l'addition, pour autant que le service soit excellent ou, tout au moins, s'améliore.