La personnalisation en question

Exit la consommation de masse, le client veut sélectionner ses ingrédients, choisir sa cuisson, venir à toute heure... Et ne plus être anonyme. Répondre à toutes ces exigences peut sembler compliqué, mais n'a pas que des inconvénients. La preuve.

En tant que sociologue, que pouvez-vous nous dire de la personnalisation ?

Nathalie Damery Après les Trente Glorieuses, les classes sociales, avec leurs habitudes de consommation bien spécifiques, se sont désagrégées : il a fallu réinventer des modèles. Le client n'est plus seulement un client au moment où il achète, mais aussi avant et après. Une chaîne de relations s'instaure avec lui via les nouvelles technologies : il devient acteur de ses achats, il les co-construit - on le voit bien avec les exemples de Blablacar ou Airbnb. Il veut avoir le choix, mais cela induit une nouvelle contrainte : en ayant le choix, il est perdu.

Quelle personnalisation offrez-vous ?

Delphine Tusseau La pizza, c'est par définition de la personnalisation : 30 % des clients ôtent ou ajoutent des ingrédients sans se poser de questions. Il y a trois ans, nous avons lancé un jeu sur Facebook qui consistait à créer sa pizza ; la meilleure recette était ajoutée à notre carte. Ce jeu nous a permis d'avoir 15 000 fans et de faire de la Pizza des fans notre meilleure vente. Mais ce que les gens aiment avant tout, c'est apporter leur touche à une recette de base, ça les rassure.

Sur le burger, nous avons une démarche différente. Le Mmyam est une formule qui permet de composer son burger à partir de 30 ingrédients. C'est notre troisième meilleure vente, avec environ 15 % des ventes. Nous développons la démarche : à chaque recette sera associé le nom de celui qui l'a créée.

Emmanuel Aublet Chez Subway, le client fait ce qu'il souhaite à partir de 16 recettes autour des protéines, qui ont tendance à le rassurer, l'accompagner dans son choix, accélérer la prise de commande. Il a ensuite un choix de légumes, de sauces, de pain, de fromages... Bref, une personnalisation infinie. J'ai passé quatre semaines en restaurant et n'ai jamais fait deux fois le même sandwich ! Une fois que les clients ont trouvé leur sandwich, le challenge consiste à modifier un peu leur choix.

Pierre Laurans L'idée de 231 East Street est d'avoir des produits simples avec des ingrédients soigneusement sélectionnés, et dans une gamme courte. Créée par opposition à la standardisation, notre enseigne propose un burger à composer soi-même, par la cuisson de la viande, les ingrédients... Plus tard, nous proposerons sans doute un choix sur le pain, avec toujours une gamme courte car trop de choix tue le choix. En rapide, un burger composé jusqu'à la cuisson ne doit pas prendre trois quarts d'heure : notre standard de service se situe entre 6 et 8 minutes.

Bernard Beller Chez BNP Paribas, comme ailleurs, les collaborateurs souhaitent retrouver dans leur entreprise ce qu'ils ont à l'extérieur. Nous avons donc éclaté les possibilités : d'abord de la restauration collective classique avec des plats qu'ils peuvent composer à partir de légumes ou de formules diététiques, ou avec des buffets d'entrée, de desserts, de fruits frais...

À côté de cela, comme ils ont également besoin de changer et de trouver des concepts différents, nous leur avons amené une sandwicherie, des points de pizza-pâtes (en restauration rapide ou classique), des salons où ceux qui le souhaitent peuvent être servis à table, moyennant un prix plus élevé, des salons VIP, et, à Nanterre, une brasserie commerciale classique, ouverte à tous.

Tous les acteurs de la collective travaillent dans le même sens car les gens ne viennent plus se nourrir, mais choisir et manger. Cette idée irrigue tout, l'école mais aussi l'hôpital. Nous avons un groupe de travail sur le sujet avec le CNA [Conseil national de l'alimentation, NDLR] : la question est de savoir comment ramener une envie de déjeuner à l'hôpital et, ainsi, favoriser le processus de guérison.

Emmanuel Aublet Nous travaillons sur des projets pour faire entrer la promesse de plaisir liée à l'enseigne dans les hôpitaux ou les entreprises. Ces derniers y trouvent certains intérêts : le plaisir lui-même, de la souplesse dans l'organisation quotidienne, une meilleure rentabilité au mètre carré, puisque les enseignes sont ouvertes sur l'extérieur, donc sur les familles.

N'existe-t-il pas également une personnalisation des horaires ?

Bernard Beller Complètement. Plus la personne s'ennuie à son travail, plus elle passe de temps à la cafétéria. Plus elle a une fonction élevée dans l'entreprise, plus elle vient manger tard. D'où la difficulté de gérer les fins de service, car dans la dernière demi-heure viennent les dirigeants, en d'autres termes ceux qui nous financent... Il faut qu'ils soient satisfaits, alors que 95 % du service est passé.

Delphine Tusseau La personnalisation des horaires est liée aux soirs de matchs de foot. Au moment où les clients passent commande, ils ont déjà faim, donc ça leur semble long : du coup, 60 à 70 % des réclamations portent sur le service. Nous investissons beaucoup sur le digital afin d'alléger cette prise de commande : le client a besoin d'être tranquille. En outre, son panier moyen est supérieur de 30 % car il y a davantage de ventes additionnelles. Le digital favorise aussi le confort dans nos points de vente : le téléphone sonne moins et c'est moins le rush.

Quelles sont les contraintes liées ?

Emmanuel Aublet Dès que vous intégrez de la personnalisation, vous faites exploser les probabilités. D'où la difficulté en restauration rapide, puisque le fond de notre métier, c'est de servir le plus grand nombre de clients possible en une heure. Cela implique énormément de choses en matière d'organisation : chacun des équipiers doit avoir un plan de travail extrêmement précis.

La personnalisation vous oblige-t-elle à avoir une équipe plus étoffée ?

Emmanuel Aublet Pas aux mêmes horaires. Par rapport à d'autres enseignes, j'ai plus de besoins pendant le rush, moins pour préparer avant.

Pierre Laurans Pour aller vite tout en répondant à la demande spécifique du client, il faut des processus opératoires assez normés, .

Et en termes de gaspillage ?

Emmanuel Aublet Comme je travaille sans produit fini, je n'ai quasiment aucun déchets, quelques épluchures, c'est tout. Sur cet aspect, nous sommes extrêmement favorisés comparé à certains concurrents, qui ont plutôt 4 à 5 % de pertes.

Bernard Beller Nous, c'est plutôt 15 % : 10 % pour les restaurants bien gérés, 17 % pour les autres ! C'est un sujet récurrent chez nous, car tout ce qui a été préparé et présenté doit être jeté pour des questions d'hygiène. Il y a toute une gestion pour réduire les pertes : on entre des paramètres dans le système informatique (les jours de soldes, de ramadan, de vacances scolaires, les jours de la semaine...), on fait tourner des algorithmes pour savoir ce qui va être consommé.

Voyez-vous des limites à la personnalisation ?

Emmanuel Aublet Ces limites sont liées à la gestion des produits. Si vous multipliez l'offre, vous ne multipliez pas vos ventes, mais vos pertes...

Delphine Tusseau ...Et les risques d'erreur, notamment pendant le rush d'un soir de foot à la télé.

Pierre Laurans Plus vous diversifiez, plus vous risquez de manquer d'homogénéité entre les ingrédients de qualité.

Emmanuel Aublet ll faut savoir résister aux sirènes de l'innovation.

Les nouvelles technologies permettent-elles de doper la personnalisation ?

Delphine Tusseau Oui. La personnalisation se traduit par un retour aux valeurs de service ; le client aime être reconnu. Notre application Mmyam recrée le lien avec le client : il peut donner un nom à son burger puis le retrouver dans tous nos restaurants.

Bernard Beller Nous utilisons un intranet pour que les collaborateurs donnent leur sentiment. Comme tout BNP Paribas est passé sur iPhone, ce sera plus facile de recueillir leurs témoignages.

Emmanuel Aublet Sur « Parlez-nous de Subway », les clients sont invités à donner leur avis. Cet outil a été conçu pour que le franchisé comprenne ce qui se passe dans son point de vente : il peut suivre en temps réel les retours de ses clients.

Delphine Tusseau Avec ces applis, il est plus facile d'avoir les retours positifs, alors qu'avec les services réclamations, forcément, ce sont les retours négatifs.

Nathalie Damery Mais là, vous parlez des marques. La personnalisation se retrouve aussi à domicile : c'est un casse-tête de faire à manger pour toute la famille, car il y a les sans-ceci, les sans-cela... C'est un mouvement qui traverse toutes les catégories de population et remet en cause l'idée qu'un repas est partageable. Beaucoup s'en inquiètent. Sur le plan sociologique, c'est intéressant, mais sur le plan nutritionnel, on oublie la notion de santé dans un repas.

Vous réagissez aux religions alimentaires ?

Delphine Tusseau Auparavant, lorsqu'on allait au restaurant, on s'adaptait. Aujourd'hui, on veut pouvoir manger ce qu'on veut, cela tend à développer le communautarisme. Certains réclament du halal, d'autres nous attaquent si nous le faisons. Nous ne voulons faire aucun communautarisme : nous avons une merguez halal et, à contrario, une pizza au jambon de Savoie - nous sommes une enseigne de pizza française. Nous avons aussi une pizza végétarienne, car c'est une tendance de fond, et nous nous posons la question du sans gluten pour demain. Économiquement, un bâton de pâte à pizza sans gluten sera compliqué en termes de pertes et de rotations. C'est un vrai choix stratégique.

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