JEAN-LUC NARET Directeur des guides Michelin
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À un mois de la sortie du guide Michelin France, nous avons donné la parole aux 21 chefs espoirs, toutes catégories, mentionnés dans l'édition 2008. Ils nous livrent en toute simplicité leur vision de l'évolution de la gastronomie et évoquent la place du produit, l'intérêt des matériels et le rôle des arts de la table. Avis de chefs avertis.
« Qu'on le veuille ou non, la gastronomie est en perpétuel mouvement, elle suit les évolutions constantes de la société », analyse Thierry Marx, chef du Château Cordeillan-Bages, à Pauillac (33). Une affirmation partagée par la majorité de ses confrères et des experts de la gastronomie. Longtemps cantonnée dans un univers clos, avare de ses secrets côté cuisine et réservée à une élite côté salle, elle est désormais sous le feu des projecteurs. Émissions de télévision, interventions à la radio, films sur le web, livres... les chefs sont devenus des « people » qui intéressent de plus en plus. Une communication jugée parfois excessive, mais qui ne doit pas faire oublier l'essentiel, à savoir la cuisine. C'est bien elle qui est sortie de l'ombre, poussant les professionnels à se libérer de certains carcans. Sans rejeter les bases, mais en s'appuyant sur les fondamentaux appris par des générations successives de chefs.
Le guide Michelin, qui demeure « La » référence professionnelle et qui apporte, une fois le restaurant mentionné, et encore plus étoilé, clientèle et chiffre d'affaires additionnels, est conscient de toutes ces évolutions. C'est pourquoi il a élargi sa sélection depuis l'édition 2005. Lors de leur travail sur le terrain, les inspecteurs repèrent désormais des espoirs pour les catégories une, deux et trois étoiles. « C'est une façon de mettre en avant les établissements mentionnés dans la catégorie une étoile. C'est pour eux une manière d'exister et cela leur donne une certaine visibilité. Le but est de pointer le talent des chefs et de mettre un coup de projecteur sur l'ensemble de ces maisons », explique Jean-Luc Naret, directeur des guides Michelin depuis juin 2004.
Cette mise en avant n'est pas une garantie pour obtenir une première ou une étoile supplémentaire. À chacun ensuite de faire ses preuves dans la durée et surtout d'assurer une régularité, point sur lequel les inspecteurs sont draconiens. Il ne suffit pas d'être très bon une fois, mais de l'être à tout moment. Pointé du doigt, le talent, comme dans toute pratique, se travaille, s'entretient et évolue. Cela pourrait être la définition de l'excellence, celle vers laquelle tendent tous ces hommes et ces femmes de passion habités par leur métier.
Une cuisine créative qui respecte la tradition
Nouvelle cuisine française, cuisine minceur, cuisine gourmande, plaque à induction, moules en silicone, cuisson sous vide, introduction de nouveaux texturants... La gastronomie bouge à tous les niveaux. Secteur à part entière, elle se trouve au carrefour de plusieurs univers - produits, technologies, arts de la table - qui évoluent et intègrent les tendances de la société. Aujourd'hui, les texturants, les stabilisateurs et les épaississants sont venus enrichir la gamme de produits à disposition des professionnels, qui peuvent ainsi laisser libre cours à leur créativité sans pour autant renier les fondamentaux de la tradition.
S'il est incontestable qu'Hervé This, chercheur physico-chimiste de l'Inra au Collège de France, a exploré les pratiques culinaires et les gestes familiers pour les expliquer du point de vue physique et chimique, faisant ainsi émerger la gastronomie moléculaire, beaucoup de chefs prônent désormais une certaine distance par rapport au phénomène. « La gastronomie moléculaire et la techno-cuisine peuvent améliorer une recette, mais il n'y a pas de secret, les bases sont les bases », souligne Lilian Grimaud, Au passé simple, à Cholet (49).
Mousses, siphons, sphérification ont pris place dans les cuisines, mais la modération est de mise. Ces techniques relèvent plus de la partie récréative, de l'accompagnement, de la mise en scène de l'assiette, ou d'une volonté du chef de décliner un produit central à travers différentes formes et textures. Si ces innovations sont reconnues et utilisées, en faire l'essentiel de sa cuisine n'est le chemin suivi que par quelques chefs non conformistes, voire révolutionnaires.
Une sélection drastique pour un produit sublimé
« La restauration demande autant d'adaptation tarifaire que de souplesse, sans céder à la mode », estime Jean-Paul Lecroq, Château de la Caze, à La Malène (48). « La cuisine moléculaire brûle ses ailes. On revient à une cuisine classique qui repose sur le travail du produit, la cuisson et l'assaisonnement, mais avec des touches innovantes », confie Frédéric Robert, La Grande Cascade, à Paris. Un avis partagé par Philippe Labbé, le Château de la Chèvre d'Or, à Èze (06), qui considère que l'on « ne peut se nourrir de cuisine moléculaire ». Et face à un client de plus en plus averti, il n'est pas question de tricher. « L'originalité passe parfois par beaucoup de mousses et d'ajouts qui veulent compenser un coût élevé des portions », déclare Patrick Le Guen, Ar Men Du, à Névez (29).
Si la cuisine affiche désormais davantage de légèreté, des jus plus courts, une réduction des sauces et incontestablement des cuissons très précises, voire au degré près notamment grâce à l'évolution des matériels, les professionnels n'ont jamais autant parlé du produit. Mannequin à mettre en valeur ou héros à sublimer, les 21 chefs interviewés sont unanimes quant à l'importance attribuée à sa sélection. Recherche de produits d'excellence, sélection drastique des variétés, maîtrise de la traçabilité, retour à des légumes oubliés, découverte de petits producteurs, amélioration de la distribution et rapidité d'acheminement sont un ensemble de facteurs qui permet à chacun de s'exprimer au travers des produits mis à la carte de son restaurant. « Avec un beau produit, on fait de grandes choses. Le produit de saison est beaucoup plus beau et moins cher à l'achat et c'est toujours un grand plaisir de retravailler un produit qui a disparu pendant plusieurs mois », confirme Michaël Fulci, Les Terraillers, à Biot (06).
Une harmonie générale qui doit marquer le client
Accompagner le produit, le sublimer sans le dénaturer, ne pas abîmer sa chair par des cuissons excessives, c'est la ligne de conduite suivie par les chefs. Plus que jamais, ils prônent le respect de la saisonnalité, en choisissant un produit au mieux de ses qualités gustatives, tout en répondant aux contraintes économiques. « Ma cuisine repose sur des produits phares de la région issus de petits producteurs. J'essaie de les proposer sans artifice et de les dénaturer le moins possible », confirme Jérémy Bigou, Charles Livon, à Marseille (13). Ces tendances viennent s'intégrer dans la prise en compte grandissante du cadre et de l'ambiance d'un restaurant. Liées à la personnalité et à la cuisine du chef, elles forment un tout qui s'inscrit dans une harmonie générale et dont le client doit repartir avec un souvenir fort. Pour revenir.
Sereins ou fébriles, les 21 espoirs 2008 sont dans l'attente de la sortie du guide rouge le 2 mars prochain, car il est peu probable que tous soient récompensés. Être reconnu par ses pairs, c'est un encouragement à continuer dans la recherche, dans la voie que chacun d'entre eux a tracée. Avec, si l'étoile est un rendez-vous, une belle récompense à partager avec leurs équipes pour le travail accompli. Une façon aussi d'illuminer leur horizon.
Des produits de saison et de qualité
- La recherche de produits d'excellence Le respect des saisons et le choix de producteurs de proximité
- L'adaptation aux disponibilités du marché
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La prise en compte de la raréfaction de certains poissons
Des matériels pointus et performants
- L'augmentation de la précision des cuissons
- Une meilleure adaptation aux volumes à réaliser
- L'utilisation parcimonieuse des pipettes et des siphons
Des arts de la table sobres et diversifiés
- La variété des supports, des matières et des formes
- L'harmonie avec le lieu et la cuisine
- La nécessité de créer un environnement et une ambiance
- Le travail sur la simplicité et l'épurement de la mise en place
- 8 655 établissements sélectionnés
- 3 569 restaurants
- 4 543 hôtels
- 543 maisons d'hôtes
- 529 restaurants étoilés : 6 trois étoiles dont 1 nouveau, 68 deux étoiles dont 8 nouveaux, 435 une étoile dont 52 nouveaux et 21 espoirs (3 trois étoiles, 5 deux étoiles, 13 deux étoiles)