L'accueil en quête de convivialité et d'éducation

FLORENT BEURDELEY

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Alors que les consommateurs n'ont jamais été aussi sensibles à la qualité du service et de l'accueil en restauration, les bonnes pratiques restent difficiles à mettre en place. Turnover du personnel, éducation des jeunes recrues et intérêt mineur pour la valeur travail jouent en défaveur de la convivialité.

L'accueil est un sujet important. Est-ce une idée reçue de dire que les Français ne sont pas aimables ?

CORINNE MENEGAUX Même si, il y a dix ans, la plupart des établissements savaient recevoir convenablement leurs clients, l'accueil n'était pas au centre des préoccupations. On note aujourd'hui une attente plus forte de la part des consommateurs dans leur mode d'achat. Les exigences ont été revues à la hausse, car les gens voyagent, et s'inspirent de ce qu'ils voient ailleurs.

JEAN-PIERRE CHEDAL Paris bénéficie d'un avantage formidable, avec les 30 millions de touristes qui s'y rendent chaque année. Il y a donc un champ d'expression très favorable pour la restauration. Car, bien que 70 % des visiteurs étrangers souhaitent avoir une expérience gastronomique, le panier moyen reste faible. Ce qui s'explique certainement en partie par le manque d'attention du restaurateur vis-à-vis du client. Bien servir, c'est s'intéresser à l'autre, mettre le client dans des conditions favorables, et nous avons besoin d'améliorer notre cadre de référence.

Savoir accueillir ne s'improvise pas. Le service ne serait-il pas le parent pauvre des écoles hôtelières ?

JEAN-PIERRE CHEDAL En France, l'accueil se limite à dire bonjour. Pourtant, le « au revoir » est plus important, car il restera dans la tête du consommateur. Quant aux millions de touristes qui viennent à Paris, il est évident qu'ils ne parlent pas tous français. Il faut, quand ils se rendent dans un restaurant, qu'ils aient un point de repère avec un serveur qui parle leur langue. Les formations devraient renforcer leurs efforts sur l'apprentissage des langues étrangères. Il vaudrait mieux avoir 30 % de CFA (centres de formation d'apprentis) en moins, mais avec plus de moyens, dans des vocations d'excellence.

JEAN TERLON Les écoles sont complètement décalées par rapport au monde du travail. Il faut que les apprentis passent davantage de temps dans l'entreprise et comprennent que le lieu principal de leur apprentissage reste l'entreprise. Par exemple, à l'école, dans les restaurants d'application, il y a quinze jeunes pour servir deux clients. Ce n'est pas du tout la configuration habituelle d'un restaurant. On devrait laisser le coeur du métier aux entreprises, et laisser aux écoles le soin d'apporter le complément, et non l'inverse.

Que faut-il faire pour faire comprendre aux restaurateurs que le contenu de l'assiette ne suffit pas ?

JEAN TERLON C'est très difficile. Nous vivons chaque jour des problèmes de personnel. Globalement, les salariés de ce métier le font en attendant de faire autre chose. Comment voulez-vous que les gens aient envie d'être sympathiques alors qu'ils viennent travailler à reculons ? Notre métier souffre d'une image déplorable : pénibilité, horaires décalés... Il faudrait travailler sur l'image que l'on renvoie.

JEAN-PIERRE CHEDAL En France, le vrai produit de luxe, c'est le travail. Nous réussissons la prouesse de mal payer les gens alors que cela coûte très cher aux entreprises. Sur dix ans, on a constaté que les grosses entreprises déclinent, alors que des petites entreprises se créent. Du coup, ceux qui créent ces petites entreprises s'investissent davantage, puisqu'ils travaillent pour eux. Et la qualité perçue du service s'en ressent.

Comment s'y prendre pour améliorer la qualité du service, la convivialité, l'attention portée aux clients ?

JEAN TERLON Il n'y a pas d'éducation familiale. On doit récupérer ce que les parents ont raté. Certains apprentis, après un an d'école, ne savent pas dire bonjour. On leur apprend des choses qu'ils ne pratiquent pas à titre personnel. Ils font un métier de convivialité alors qu'eux-mêmes ne sont pas imprégnés de cette convivialité. Il faut revoir les fondamentaux.

JEAN-PIERRE CHEDAL Il y a des comportements à mettre en place. Dans mes restaurants, je demandais à tout le personnel de manger à table, assis. Je souhaitais que les plats soient expliqués, la carte comprise par tous. Quand il y avait une carte des vins, je voulais que les gens les goûtent, soient informés par le récoltant. Quand j'ai développé Hippopotamus, nous avions fait un énorme travail sur la valorisation du personnel, et notamment sur les salaires. Et, comme nous fermions très tard, chaque salarié repartait chez lui après une collation. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que nos problèmes internes occultent les attentes des clients. Il faut toujours garder à l'esprit que le client ne supporte pas l'indifférence.

JEAN TERLON Le turnover est un véritable problème. En effet, les clients aiment retrouver les mêmes serveurs. Quand les salariés changent trop souvent, cela crée une inquiétude vis-à-vis du client.

CORINNE MENEGAUX On s'aperçoit que les consommateurs sont de plus en plus attentifs au service. Les choses bougent. C'est une tendance dont on peut espérer qu'elle touchera tout le monde, y compris les plus jeunes, et que les problèmes actuels se règleront d'ici à dix ou quinze ans. Il faut se donner des occasions de communiquer. La Mairie de Paris nous a accompagnés sur l'opération Smile d'Equip'Hotel, qui fédère un certain nombre d'établissements de la capitale autour des valeurs d'accueil. Je pense que ce genre d'initative permet d'avoir une prise de parole autour du sujet, et en tout cas de communiquer et de se rendre compte que la profession est prête à se mobiliser. C'est rare d'avoir autant d'énergie positive dans une filière !

En résumé, quelles sont les bonnes habitudes, les bonnes pratiques à mettre en place ?

JEAN TERLON Il faut être attentionné, s'intéresser au client, et surtout éteindre son portable ! Le portable pollue de manière incroyable la concentration dans le travail. On voit des serveurs qui apportent les plats avec leur téléphone qui vibre dans la poche !

JEAN-PIERRE CHEDAL L'attitude, le regard sont fondamentaux. Tout passe par là. Et surtout, il faut éviter d'imposer une table au client. La meilleure attitude d'accueil, c'est de lui laisser systématiquement une alternative, qui va lui donner l'impression qu'il a le choix. Il ne faut pas non plus oublier les nouveaux clients au profit des anciens. Un premier client, c'est un territoire de conquête. Inconsciemment, on a tendance à priviligier les habitués. Et puis, le restaurateur ou le serveur doit être capable de parler de sa carte, des produits, des vins. Malheureusement, ce n'est pas toujours le cas.

CORINNE MENEGAUX Il faudrait que les formations incluent des simulations de cas, avec, pourquoi pas, de faux clients, à l'image de ce qui se pratique dans les formations de commerciaux. Quant aux restaurants d'application, c'est une mauvaise idée, puisque les clients sont très indulgents, ça ne correspond pas du tout à la réalité.

JEAN TERLON Le vrai restaurant d'application, c'est l'entreprise !