Interview

Jean-François Feuillette, N°1 de la boulangerie en CA/établissement, « le client au-dessus de tout »

SABINE DURAND

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Jean-François Feuillette, N°1 de la boulangerie en CA/établissement, « le client au-dessus de tout »

Le N°1 de la boulangerie en termes de chiffre d’affaires/établissement poursuit sa croissance. Dans le même temps qu’il prend les manettes de Frédélian, l’institution ferretcapienne depuis 1939.

Alors qu’il développe son réseau de boulangeries depuis 2005, en franchise depuis 2015, avec de fortes ambitions, Jean-François Feuillette a repris le célèbre salon de thé Frédélian, au Cap Ferret. Il a revu son décor -il lui a redonné le caractère art déco qu’il avait à son origine-, a enrichi le tout d’une offre de restauration pour un établissement ouvert 7/7, de 7h du matin à minuit. Un nouveau défi pour celui qui place le client au-dessus de tout. 

Vous êtes depuis peu le propriétaire et le chef de Frédélian, au Cap-Ferret. C’est un peu un pas de côté, non, par rapport à votre réseau de boulangeries ?
Ça n'est pas si éloigné que ça ; bien sûr mon cœur de métier c’est la pâtisserie, mais on touche quand même à la restauration dans les boulangeries, et j’ai toujours été passionné par la gastronomie, la restauration. Je passe régulièrement mes vacances au Cap-Ferret, alors quand l’opportunité de reprendre Frédélian s’est présentée, je ne pouvais pas la rater ! On a conservé la partie salon de thé avec pâtisserie qu’on est venu renforcer avec un restaurant de 160 places, une carte qui nous ressemble, simple, efficace avec des produits haut de gamme sourcés localement comme le poulpe grillé frais, le tartare de thon, le black angus… L’objectif c’est que les gens puissent se faire plaisir en famille. 


Qu'avez-vous modifié en termes de décor ?
C’est un établissement qui date de 1939 ; nous avons essayé de retrouver des photos pour nous en inspirer. Nous avons repris le vert pastel d'alors, les codes Art-Déco, jusque dans le logo qu’on a inscrit dans une mosaïque au sol… Les gens nous demandent si c’était là à l’époque, ça veut dire que le pari est réussi ! Des membres de la famille fondatrice sont venus à l’inauguration et ils semblaient enchantés de ce nouveau départ, ça m’a fait plaisir. Je ne suis pas de passage, je suis là pour 20 ans...



Même si c’est un peu tôt, êtes-vous satisfait un mois après cette réouverture ?
C’est complexe. J’ai repris Frédélian avec zéro personnel, il a fallu recruter 60 personnes dont beaucoup de saisonniers qu’il faut former -la plupart ne connaissent rien au métier- et qu’il faut loger, ce qui coûte très cher au Cap Ferret. Par exemple, pour un chef de rang, j’ai trouvé des logements à 1000 €/semaine ! L’année prochaine, je m’organiserai différemment, je privilégierai des locaux, des jeunes dont les parents ont une villa et passent l’été ici.
C'est du non-stop. On ouvre à 7h pour le petit déjeuner -ça veut dire arriver à 3h du matin-, ça fonctionne très bien, c’est même de la folie ; on poursuit avec le service de restauration, puis l'après-midi avec les pâtisseries, les gaufres, les glaces ; à 18h, les clients viennent prendre l’apéritif en sortie de plage, ensuite nouveau service de restauration. Et les gens qui sont allés manger dans les cabanes à huîtres viennent prendre une gaufre ou une glace… Ca n’arrête jamais. Contrairement à l’ancien propriétaire qui fermait à 20h, nous restons ouverts jusqu’à minuit, les clients apprécient. C’est important si on veut faire de notre établissement un lieu de vie, de rencontre. C’est un service au client. 

Quel est le ticket moyen ?
J’en ai deux. Pour la vente à emporter (pâtisserie, glaces, gaufres…), qui fonctionne très bien, avec parfois jusqu’à 40 personnes qui font la queue devant la glace ou les gaufres, c'est impressionnant, on est sur 15€. Sur place, on est plutôt entre 40 et 45 €.

Quels objectifs vous-êtes-vous fixés pour Frédélian ?
Le seul objectif que je nous ai fixé, à mon équipe et à moi, c’est que le client reparte satisfait, qu’il ait eu un moment de plaisir. Évidemment, je ne suis pas une association, il faudra que j’équilibre avec la masse salariale, le chiffre d’affaires. Reprendre un établissement comme celui-ci n’est pas simple, mais j’avais envie de relever ce défi. Il faut qu’il devienne un lieu de vie pour toutes les générations. Comme cette grand-mère qui m’a raconté qu’elle venait y manger des glaces avec sa mère. J’espère que les enfants qui y viennent aujourd’hui s’en souviendront de la même manière.


Vous parlez souvent de lieu de vie, qu’entendez-vous par là ?
C’est avant tout un endroit dans lequel on se sent bien et dans lequel on a envie de passer du temps, toutes générations confondues. C’est un métier, il faut des années d’expérience pour créer un lieu de vie. J’ai travaillé dans un 3* Michelin, j’y ai appris le sens et l’importance du détail. Rien ne doit être laissé au hasard : en N°1, le produit, mais aussi l’extérieur de l’établissement, le décor, l’ambiance, la petite musique, le personnel, bien habillé -en chemise blanche, tablier noir et bretelles noires-, souriant, la lumière, le confort quand le client s’asseoit, la rapidité du service, la serviette en tissu, le petit financier qui accompagne le café dans une tasse logotée Frédélian... un café spécifique que j’ai mis plusieurs jours à trouver par exemple etc. Tout le cheminement est important pour que ce soit un établissement chaleureux, dans lequel vous venez prendre un café, puis un deuxième car vous vous y sentez bien. Je suis là pour imposer cette exigence de qualité, c’est mon rôle de chef d’entreprise. Ma satisfaction, c’est de voir les premiers clients revenir… 

L’activité au Cap-Ferret est liée à la saison estivale, comment envisagez-vous les choses par la suite ?
C’est une vraie question -mon prédécesseur fermait d’ailleurs fin août-, mais depuis la Covid, de plus en plus de propriétaires de résidences secondaires au Cap-Ferret ont choisi d’y vivre en permanence… Mon ambition, c’est donc de rester ouvert toute l’année, avec une carte qui va varier pour attirer les touristes l’été, les locaux tout le temps. En revanche, ce n’est pas facile d’ouvrir 7 jours sur 7, c’est comme dans nos boulangeries : les clients qui viennent acheter leur baguette tous les jours repèrent le jour de repos du chef boulanger, parce qu’il a une patte bien à lui qu’ils ne retrouvent pas. C’est la même chose chez un cuisinier. Donc à partir de septembre, je vais fonctionner du mercredi au dimanche seulement, avec une équipe divisée par 3.

Avez-vous déjà l’équipe de 20 personnes qui assurera le service toute l’année ? Et si oui, pour les recruter, avez-vous été obligés de leur offrir des conditions avantageuses ?
Le noyau dur est là. Quant aux conditions, si vous voulez quelqu’un qui s’investisse, il faut bien le payer, lui donner 2 jours de repos… et lui garantir un confort et surtout une ambiance de travail. Pour faire une équipe, il faut réussir à fédérer derrière un projet ; c’est le cas sur Frédélian. Avec l’équipe, on se donne à 100 %. Aujourd’hui je suis très présent, car c’est la première saison, il ne faut pas décevoir, il y a un nom, une réputation, c’est une institution ! Je n’ai pas oublié les boulangeries pour autant. Et à partir du mois de septembre, l’activité de Cap-Ferret va se calmer.

Parlons de votre réseau de boulangeries. Où en êtes-vous ?
Nous avons 49 boulangeries, dont 28 en franchise. Si deux franchisés viennent d’ouvrir leur troisième boutique, 100 % des franchisés veulent en ouvrir une deuxième mais il faut déjà tenir son établissement pendant deux ans car une boulangerie Feuillette est un gros établissement. Nous sommes N°1 en termes de chiffre d’affaires par établissement en boulangerie, en moyenne 2,5 M€, et dans les magasins franchisés en année 3 plutôt autour de 2,8 M€. 

Vous réalisez moins de chiffre d’affaires que vos franchisés ?
Parce que j’intègre les opérations de croissance externe que je mène, comme à Cholet et sur l’Ile de Ré, deux boutiques que j’ai reprises mais dans lesquelles il n’y avait pas la place pour une partie restauration. 

Qu’est ce qui vous intéresse dans les boutiques que vous rachetez ?
Quand je reprends une boulangerie, c’est que je trouve l’emplacement exceptionnel. Dans le centre-ville de Chartres, avec le franchisé, nous avons attendu 4 ans que la boulangerie qu’on estimait la mieux placée se libère. Pareil sur la Flotte (Ile de Ré)... ce n’était pas simple, c’était ma première  boulangerie en station saisonnière. 

C’est quoi le bon emplacement selon vous ?
C’est ma vision à moi de ce qu’est un bon emplacement. En centre-ville je suis parti exclusivement sur de la croissance externe : y créer une boulangerie est trop compliqué, ça fait du bruit, on commence à travailler à 3h du matin, il faut mettre des groupes froids, des fours, des cheminées, des extractions, ça peut être très difficile avec les voisins. Et pour reprendre une affaire, il faut que son chiffre d’affaires soit correct mais que je puisse lui apporter quelque chose. Si l’affaire est très bien tenue, avec un boulanger et un pâtissier brillants qui font très bien leur travail, je ne reprends pas, car je n'apporterai pas de valeur ajoutée.
Pour créer de toutes pièces, donc plutôt en périphérie de ville de province, nous cherchons des bâtiments de 500 m2, des terrains de 2 à 3000 m2 pour créer un parking, pour que la boulangerie soit accessible en voiture. Ces lieux de vie, avec jusqu’à 200 places assises à l’intérieur pour les plus grosses boulangeries, ont une grosse activité sur le créneau midi-14h, pendant lequel les gens viennent se restaurer. Pendant les confinements, les restaurants ont été fermés, pas les boulangeries, c’est là où nous avons musclé notre restauration ; nous avons revu notre offre avec un choix, une sélection… Nous nous sommes professionnalisés, nous avons embauché des cuisiniers dans chacune des boulangeries pour faire des risottos, des pâtes, des soupes, des sauces... Tout est fait maison, même la mayonnaise. Quand je vends des burgers, le boulanger en a fait le pain, le cuisinier les sauces et la viande est arrivée fraîche le matin. Les boulangers ont laissé passer le vent de la restauration rapide mais sont en train de reprendre des parts de marché. J’ai lu que Marie Blachère arrivait en 3e position derrière McDo et Burger King !
Dans quelle région vous implantez-vous prioritairement ?
Nous avons démarré en région Centre, puis nous avons sélectionné des villes à 1 h de route, puis à 2h, et commencé à nous éloigner vers Libourne, Colmar, et bientôt Strasbourg, Aubagne etc.. La distance n’est plus un problème grâce à la logistique que nous avons mise en place.

Quelle est cette logistique ?
Nous avons ouvert il y a deux semaines notre laboratoire central de 5000 m2, une unité de fabrication dédiée à la pâtisserie, avec 120 personnes dont une centaine de pâtissiers pour distribuer une partie des pâtisseries, des macarons, des produits les plus techniques. 15% des produits sont fabriqués dans cet atelier central, situé à Blois, le reste est fabriqué dans les boulangeries, le pain, la briocherie, le snacking. A l’image d’un artisan, les croissants et pains au chocolat sont produits et distribués crus dans les boutiques où ils poussent et cuisent… Comme ça je  maîtrise la qualité de mes produits à la base. Car chez Feuillette, nous choisissons les produits parce qu’ils sont les meilleurs, pas parce qu’ils sont les moins chers, à l’instar de notre Paris-Brest, pour lequel nous utilisons dans le praliné 100 % de noisettes du Piémont. Elles coûtent 20€/kg contre 6kg pour des noisettes lambda… mais j’ai choisi mon camp ! Dans cette unité centrale -qui sert aussi pour Frédélian-, nous faisons intervenir tous les mois des MOF pâtissiers -je le fais aussi dans les boulangeries, avec des MOF boulangers- pour toujours tirer vers le haut cette qualité de produit.

Quid de l’inflation ?
C’est compliqué, on a réussi à limiter  l’augmentation des prix, mais on a une telle inflation sur le beurre, la crème, l'huile, la moutarde... Nous sommes d’ailleurs en train de travailler en R&D pour trouver des substituts à la moutarde. 

Comment se répartit votre chiffre d'affaires ?
On est à 50/50 entre les ventes sur place et à emporter, avec une ventilation dans les grandes lignes de 1/3 boulangerie-pâtisserie, 1/3 salée, 1/3 viennoiserie. 


Chacune de vos boulangeries compte entre 25 et 50 salariés. Avez-vous des problèmes de recrutement ?
Hors nouveaux postes, nous sommes aujourd’hui en sous-effectif de 10 % ; ça pèse sur ceux qui travaillent, qui doivent en faire plus, et ça devient problématique. Nous cherchons une solution. Sans doute cela passe-t-il par la formation… Nous réfléchissons à créer une école. En attendant, nous avons ouvert avec la Chambre des Métiers et pôle emploi une première classe pour un CQP, un diplôme remis par l’Etat au terme d’une formation de 3 mois faite chez nous. Nous allons faire le bilan de cette opération en septembre ; nous avions garanti l’embauche à ces personnes, nous devons voir ce qu’elles donnent réellement. En tout cas, nous avons la volonté de continuer la formation. 

Quels profils attendez-vous pour les candidats à la franchise ?
Sur 1000 candidats/an, on en recrute dix. Il faut que les candidats -souvent des couples- aient des qualités managériales pour gérer les équipes ;  qu’ils soient passionnés par l’univers de la gastronomie, de la restauration, de la pâtisserie ; qu’ils soient commerçants, avec une vraie chaleur humaine, un savoir-être. Il faut qu’ils aient envie de s’impliquer dans leur quotidien, je ne recrute pas d’investisseurs. 

Quel est l’investissement justement ?
Pour aller chercher un crédit bancaire, il faut un apport personnel de 200 K€ mais nous ouvrons la franchise à des candidats extrêmement motivés qui ont peu ou pas d’argent grâce à la location-gérance. Un couple d’ex-apprentis a ainsi pris la tête d’un magasin. C’est une force de pouvoir offrir ça. Nous mettons le pied à l’étrier à des couples qui ont travaillé chez nous grâce à la location-gérance, avant d’évoluer vers la franchise elle-même. 

Quel est votre objectif ?
100 boulangeries d’ici 2026. Nous ouvrons 4 points de vente d’ici à la fin de l’année à Romilly-sur-Seine en octobre, Tours, Wattignies et Lons le Saunier en novembre, et pour l’année prochaine, 16 ouvertures sont validées.

Avez-vous l’étranger en ligne de mire ?
Nous sommes sollicités pour nous implanter à l’étranger, mais il faut d’abord bien asseoir l’enseigne au niveau national. Cette année on recrute quand même entre 4 et 500 personnes ; quand on dit qu’on va ouvrir 16 boutiques en 2023, cela signifie finir l’année entre 130 et 140 M€, donc donner 30 à 40 % de chiffre d’affaires supplémentaire à notre groupe, c’est colossal. Et il y a Frédélian. On ne peut pas mener plusieurs batailles en même temps. 

Comment le réseau prend-il la reprise de Frédélian ?
Ils en sont fiers. Certains franchisés sont d’ailleurs venus à l’inauguration. Je vais organiser ma convention de franchise cette année au Cap Ferret car j’ai eu un coup de coeur pour Frédélian, j’ai envie de le partager avec les équipes, les franchisés ; que cela devienne partie intégrante du groupe. L’entreprise, c’est avant tout une aventure humaine -j’ai des salariés qui sont avec moi depuis 17 ans, c’est ma plus grande réussite-. Mes équipes et moi sommes au même niveau, le seul qui soit au-dessus de tous, c’est le client. 
Propos recueillis le 26 juillet

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