Hervé Porte prône une architecture multisensorielle prenant en compte la satisfaction de nos cinq sens.
Hervé Porte est à l’origine de la conception de plusieurs enseignes des Bistrots pas Parisiens, dont le premier Top Chef à Suresnes avec Stéphane Rotenberg. Dès le mois prochain sera inauguré le restaurant du Prince de Galles, le 19-20 qu’il a entièrement conçu et où va officier Norbert Tarayre. Cet été, il s’est réjoui de l’obtention de la deuxième étoile de Cyril Attrazic (Chez Camillou) dont il a créé les espaces il y a quelques années. Hervé Porte bagarre depuis plusieurs décennies pour remettre du et des sens dans les espaces qu’il imagine.
Vous vous revendiquez architecte des cinq sens. Qu’entendez-vous par cette expression ?
Je suis diplômé en architecture et j’exerce aussi des missions d’architecture intérieure, car ma vision est globale. Dedans et dehors doivent être cohérents. J’ai eu la chance d’être formé par l’architecte Mangematin, lui-même largement inspiré par Frank Lloyd Wright et son concept d’architecture organique. Donc de toute évidence, pour moi c’est la fonction qui crée la forme. Chaque geste doit être porteur de sens. Et ce sens, je l’obtiens en me soustrayant à toute influence de mes compatriotes et confrères. Je pratique en quelque sorte l’« époché », la technique de suspension du jugement des sceptiques grecs. Ne reste plus qu’à écouter nos sens, à ressentir ce dont le lieu et ceux qui vont le fréquenter ont besoin, avec une vision à 360°, qui ne se contente pas de la vue mais qui inclut tous les sens, le son, le toucher, l’odorat et le goût.
A quel moment de votre carrière avez-vous commencé à travailler sur l’aménagement de restaurants ?
En 1999, j’ai imaginé le bar d’ambiance Otherside à Clermont-Ferrand. L’espace reprenait tout ce que j’avais expérimenté auparavant à travers la conception de maisons, de bureaux et de lieux publics. La lumière et le son ont été particulièrement travaillés avec des solutions techniques que j’ai moi-même mises au point. Le bar a rencontré un franc succès, à tel point que 3 ans après son ouverture il était déjà amorti. En outre le personnel était ravi car enfin il ne supportait plus une ambiance bruyante et des lumières inadaptées. J’ai ainsi commencé à travailler notamment avec Philips pour la lumière et le logiciel Sonos pour la musique. A chaque morceau correspond un éclairage et une couleur spécifiques, souvent choisis par l’artiste lui-même. En outre, des matériaux spéciaux sont utilisés pour amortir le son et permettre à une salle remplie de convives de rester tout à fait agréable, avec la possibilité pour chaque table de se parler et de s’entendre parfaitement. Le tout dans une ambiance musicale et des playlists que j’élabore moi-même en fonction des lieux.
Qu’en est-il du toucher ?
De toute évidence, le mobilier nécessite d’être conçu et réalisé avec des matériaux agréables au toucher. Pour la table, le bois s’impose, pour les sièges, c’est souvent le tissus qui prédomine, sans oublier une assise très confortable. Je travaille beaucoup avec des artisans qui peuvent désormais avec la découpe numérique réaliser du mobilier sur mesure à des coûts limités.
Par ailleurs l’odorat n’est pas oublié, c’est le minimum dans un restaurant. Quant au goût, je laisse la parole aux chefs. En définitive, mon travail s’appuie sur l’ensemble de ses composantes, les cinq sens, et c’est le mix de ces accords parfaits qui donne du sens au lieu. C’est la raison pour laquelle les personnes y reviennent. Même si elles n’analysent pas précisément ce qu’elles ont aimé et remarqué, elles savent qu’elles se sont senties bien dans cet espace. Aujourd’hui plus que jamais, c’est le minimum requis quand on entre dans un restaurant.
Ce travail réclame donc davantage de temps et un surcoût en termes de budget. A quelle hauteur estimez-vous ce surcoût ?
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, le surcoût est dérisoire au regard des gains qu’apportent l’ambiance générée dans le restaurant, et le niveau de fidélité engendré. A ma manière, je conçois des restaurants immersifs et sans tout le décorum mis en œuvre dans ce type de restaurants.
Quels projets avez-vous signé ces dernières années ?
Je continue à travailler pour les Bistrots pas Parisiens qui ouvriront bientôt à Rueil Malmaison, après le nouveau Cocco Rocco de Puteaux. J’ai créé notamment le premier restaurant du groupe, Saperlipopette, il y a dix ans, puis Là-Haut, Top Chef… J’ai signé aussi Chez Paulette à Issy-les-Moulineaux et Jean à Antony. Sans oublier plusieurs établissements à Val Thorens (La Maison, La Cabane…). Et tous selon les mêmes préceptes d’architecture multisensorielle.
Propos recueillis en septembre 2023