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Frédéric Denhez : « Penser d’abord local ! »

AGNÈS DELCOURT

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Frédéric Denhez : « Penser d’abord local ! »

L'ingénieur insiste sur la conservation des sols, "le capital le plus important et le moins renouvelable".

L’ingénieur, conférencier et consultant, auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, invite la restauration à s’engager encore davantage vers des approvisionnements locaux, sans oublier la bio.

Comment un restaurateur soucieux de protection de l’environnement peut-il s’y retrouver dans les différents labels ?

Le label le plus visible est celui décerné par le ministère de l’Agriculture, à savoir le HVE 3, pour Haute valeur environnementale de niveau 3. Il est imparfait, mais répond au moins à des obligations de résultat en matière de biodiversité. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille abandonner l’idée de travailler des produits bio. En tout premier lieu cependant, c’est d’abord l’approvisionnement local qui doit prévaloir. Si l’exploitant local est certifié bio, c’est encore mieux. S’il travaille en « conservation des sols », c’est également vertueux, et même mieux que le bio au niveau agronomique. Soyons clair, privilégier un produit bio récolté par des clandestins à plus de 1 000 km de son lieu de consommation, cela n’a rien de vertueux. Je lui préfère un produit local… bien sûr, de préférence cultivé dans les meilleures conditions. Je crois aussi beaucoup à la relation de confiance qui doit se rétablir entre producteurs, restaurateurs et consommateurs. Il est plus évident de faire confiance à quelqu’un que l’on connaît, parce qu’il est notre voisin, qu’à une entreprise impersonnelle. Et j’éviterai ici le sujet des grands distributeurs entretenant encore trop souvent un rapport de force délétère avec les producteurs qui ne sont pas rémunérés à leur juste valeur.

Qu’entendez-vous par « conservation des sols » ?

Dans quelques années, les terres agricoles dont les qualités auront été préservées seront fortement recherchées. Cet objectif sera d’ailleurs celui de la directive des sols qui sera présentée en mai et juin au Parlement européen. Il faut revenir à du bon sens, avec une méthode éprouvée de conservation des sols car le capital le plus important et le moins renouvelable qui soit c’est… le sol. Il s’agit concrètement de ne jamais laisser les sols à nu, de les préserver en les couvrant l’hiver, de labourer le moins possible, d’éviter au maximum les engrais minéraux au profit des engrais organiques, d’aller vers des polycultures avec élevage, ce qui permet de disposer notamment d’engrais naturels… en résumé, il s’agit d’une méthode qui a fonctionné quelques siècles et a été abandonnée au profit de la spécialisation des sols, de fait désormais fortement appauvris en matière organique.

Mais qu’en est-il alors de l’agriculture biologique ?

Le marché ne va plus s’étendre dans ce domaine, l’agriculture biologique a atteint son niveau de marché maximal. Ce type de démarche réclame beaucoup de convictions et de réels efforts qu’accomplissent des agriculteurs convaincus, avec des rendements de 20 à 30% moins élevés qu’en conventionnel. Le phénomène de « déconversion » ne concerne que ceux qui n’étaient pas réellement convaincus par ce type de méthode ou qui avaient choisi ce mode de culture par opportunisme. L’Agence Bio l’a estimé à 5 à 6% l’année dernière. Le phénomène devrait rapidement se tasser pour ne laisser la place qu’aux agriculteurs engagés. Pour autant, le tout bio ne peut suffire à répondre à l’ensemble des besoins. Seulement 11% des terres agricoles entrent dans cette catégorie et la proportion devrait se stabiliser. C’est pourquoi il devient urgent, en parallèle, de réinventer ou de retrouver un système différent, car il est question maintenant de préserver nos sols, l’agriculture conventionnelle -et l’aménagement du territoire couplé à l’étalement urbain- étant en train de les détruire, et de manière durable. Et sans terre, comment fait-on pour cultiver céréales, légumes et fruits ?

Le sujet paraît complexe, pensez-vous que les restaurateurs puissent s’en emparer ?

Bien évidemment, et ils sont nombreux à le faire, en choisissant en priorité des producteurs locaux. Et ils les choisissent pour la qualité de leurs produits. Si les produits sont de qualité, c’est parce qu’ils ont été correctement élaborés, par des personnes qui ont été suffisamment rémunérées, c’est aussi simple que cela. C’est encore peu communiqué, mais les agriculteurs sont nombreux à faire de la conservation des sols. Beaucoup ont déjà compris l’urgence des enjeux. En outre, l’Union européenne s’apprête à légiférer pour préserver la qualité des sols à travers une directive. Ainsi, les agriculteurs n’affichant pas de bonnes évolutions sur certains critères de qualité des sols toucheront à terme moins de subventions. Quant aux consommateurs, ils savent bien qu’un restaurateur dont la carte change très souvent au rythme des saisons est de fait un professionnel qui s’approvisionne au plus près et avec des produits frais et de qualité. Il est vrai que dans les grandes villes, le sujet est plus complexe. Dans ce cas, il faut faire confiance aux grossistes qui sont convaincus des vertus d’un approvisionnement local.

Dans un contexte inflationniste, peut-on encore inciter les consommateurs à s’orienter vers du local, et donc grossir le budget alimentation et restauration alors qu’il est difficile de payer les factures d’énergie ?

L’inflation va ramener le budget alimentation (et j’y inclus la part liée aux sorties au restaurant) à un prix plus juste. Aujourd’hui, l’alimentation représente entre 9 à 12 % du budget global des ménages. Pour info, il y a 50 ans, ce budget tournait autour de 40 à 50%. Maintenant, il devrait s’acheminer vers 15 à 20% et se stabiliser, au même rythme que l’inflation qui commence à atteindre un plateau. Ce qui entraîne de fait un changement radical de modèle sociétal et de comportement. Il faudra aussi compter sur les effets du réchauffement climatique, ou encore des problèmes de sécheresse qui vont engendrer des récoltes plus modestes et aléatoires… Tout cela pour dire qu’il devient urgent de changer de modèle et que des solutions existent. En clair, nous n’avons plus vraiment le choix. Et contrairement à ce que mes propos pourraient laisser transparaître, je suis optimiste et confiant dans le bon sens des agriculteurs et des restaurateurs qui ont aussi la mission de les soutenir dans leurs actions pour aller vers une sobriété assumée et non contrainte, et qui rime finalement avec gourmandise et plaisir.

Mai 2023.

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