Une succession de facteurs externes a bouleversé le business model de la société de restauration collective. Damien Pénin, son directeur général adjoint, explique à Néo comment, avec ses équipes, il souhaite réinventer Elior.
Damien Pénin, dga d’Elior: « apporter une proposition de valeur nouvelle sur les territoires »
Où en est Elior aujourd’hui ?
Avec 22 500 salariés, 11 000 points de restauration, nous sommes n°1 de la restauration collective en France tous segments confondus. Mais cela fait globalement deux ans et demi que nous perdons plus que nous ne gagnons, en raison de cinq déterminants, qui impactent fortement et durablement notre business.
Quels sont ces 5 facteurs ?
La hausse significative et durable des prix des matières premières ; la pénurie de main d’œuvre, avec la croissance du turnover et l’inflation des salaires sur un métier originellement peu attractif ; l’exigence des consommateurs en termes d’éthique, de qualité, d’hygiène ; la complexification de la prévision de la demande sur le segment de l’adulte au travail -sur une péréquation moyenne base 100, on passe à 20 le lundi, à 100 le mardi et le jeudi, à 70 le mercredi, peut-être 10 le vendredi, et comme en plus sont arrivés des opérateurs de la foodtech, nous avons perdu structurellement un volume d’activité que nous ne retrouverons jamais. Cinquième facteur, le réglementaire, avec Egalim 1,2, Agec, Elan, Climat et résilience… Cette réglementation nous oblige à avoir 50 % de produits durables que la grippe aviaire ou la sécheresse ne nous permettent pas toujours de faire venir de France. Cette perte de souveraineté alimentaire nous met en défaut. D’ailleurs, la commande publique est en train de se détourner d’Egalim, en intégrant les fameux PAT, Projets alimentaires territoriaux, sachant que ces PAT ne rentrent pas dans Egalim. Dans le même temps, on a de moins en moins d’exploitations laitières, porcines, de vaches allaitantes. Cette problématique s’est traduite sur la volaille : on est obligé d’en importer car le territoire ne suffit pas. Bien sûr il y a eu la grippe aviaire mais pas seulement: il n’y a surtout pas assez d’exploitations.
Concrètement, quel est l'impact sur Elior ?
Ces 5 déterminants externes se sont traduits chez nous par une baisse significative du chiffre d’affaires. Globalement l’exercice 2018-2019 s'était soldé par un chiffre d'affaires de plus de 1,6 milliard d’euros, celui clôturé à fin septembre 2022 est de 1,362 milliard d’euros… et avec un résultat négatif, chose qui n’était jamais arrivée !
Vous avez d’ailleurs dû vous résoudre à un PSE ?
Oui sur le B&I, mais moins fort que ce que nous avions annoncé, puisque les autres segments avaient des besoins… Au final, 800 à 900 postes ont été impactés.
N'est-ce pas difficile de recréer une atmosphère de confiance dans l'entreprise dans ce contexte ?
Il faut bien sûr prendre soin des salariés de l’activité B&I, mais comme de tous les autres. Nous sommes sur un métier de service, donc d’hommes et de femmes. Ce sont eux nos axes de différenciation. Je suis à ma place grâce à eux et je ne l’oublie pas. Nous avons un vrai travail RH à faire pour ce qui représente 50 % de notre poste de charge. Nous sommes confrontés à des départs naturels, avec une pyramide des âges très élevée. Quand vous avez 5 à 7% des collaborateurs qui partent dans les 3 ans, il faut le préparer, intégrer de nouveaux talents, mettre en place du mentorat/tutorat inversé, pour que les plus anciens transmettent leur savoir-faire et leur savoir-être et les jeunes, leur maîtrise des technologies et de la data.
C’est quoi la mission d’Elior en sortie de crise ?
C’est une mission sociale de restaurateur, qui doit assurer avec responsabilité, bienveillance et dynamisme, l’agilité et l’innovation sur son territoire, sachant qu’Elior réalise 85 % de son chiffre d’affaires sur 17 départements. Le premier pilier, c’est l’engagement : les équipes doivent être fières de leur métier et s’engager à apporter la meilleure qualité de service. Ensuite, il faut participer à l’écosystème et le valoriser. Le troisième pilier réside dans le bien manger : nous devons proposer des repas frais, de qualité, savoureux. Quant au quatrième, c’est la responsabilité : il faut maîtriser l’hygiène, la sécurité alimentaire, organiser un monde d’inclusion, et enrichir les valeurs sociales et sociétales.
Ces 4 piliers, comment les travaillez-vous ?
L’objectif prioritaire, c’est la reconnaissance des collaborateurs via la rémunération, la formation et la progression/nomination. Depuis que j’ai pris mes fonctions à la direction générale en 2020, l’ensemble des promotions est issu de la promotion interne sauf une. La revalorisation sociale est importante aussi : nous avons un fonds de solidarité chez Elior qui accompagne chaque mois une centaine de salariés qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts.
L’ancrage local, outre la structuration d’acheteurs en filière sur 14 bassins régionaux, passe par des partenariats stratégiques sur l’emploi et l’inclusion (Pôle Emploi, Esat, sociétés d’intérim spécialisées), sur le culinaire (des chefs comme Stéphane Tournier et Michel Sarran à Toulouse, Mathieu Viannay à Lyon interviennent auprès des équipes et des convives), les écoles (plus de 1500 apprentis et stagiaires dont Elior intègre 7 % dans ses effectifs), mais aussi la régénération des déchets pour les traiter en compost et en méthanisation.
Le bien manger, c’est la nutrition ; il ne faut pas réduire la qualité mais faire différemment par rapport à l’inflation. Nous avons par exemple retravaillé les recettes de légumineuses… Et le Nutriscore est un outil qui nous apporte la transparence. Sa mise en place sur 6500 fiches recettes a nécessité deux ans de travail titanesque pour définir les agrégats, entrer la donnée brute, l'agréger par rapport à la fiche technique. Dans la continuité, nous sommes capables de mesurer le carbonescore.
Quant à la responsabilité, ça signifie un modèle inclusif et durable, avec un engagement au niveau des approvisionnements locaux. Par exemple, nous allons acheter pendant 4 ans tant d'hectares de lentilles, sur lequel nous allons garantir un volume… Mais nous avons aussi des partenariats sur le porc de Bretagne, le raisin du chasselas, les kiwis de l’Adour, les mandarines corses etc. ; pour les yaourts, nous avons décidé de ne proposer que les ceux produits par la ferme de Cléry dans la Meuse, avec du lait 100 % français… et nous avons retravaillé les pots pour éviter le gaspillage alimentaire, de 125 à 115 g… On a réfléchi à l’ensemble de la chaîne de valeur.
Peut-on faire un point sur chacun des segments ?
Le marché le plus impacté a été celui de l’entreprise (550 M€ de CA), sur lequel nous ne retrouverons jamais le volume ni la rentabilité d’avant-Covid. Ce qui nous oblige à réinventer l’offre alimentaire, les lieux, la scénographie, la théâtralisation… Avec plusieurs concepts comme Re-Set (self avec cartes réduites, produits de saison, agriculture française, lieu modulaire), façon food court comme Chaud Bouillant, façon rapide orienté sur le végétal avec Ravitailleurs, mais aussi Petite Brigade (dérivé de Twenty), Nestor etc, ou le partenariat avec Hana Group. Et face à la variabilité de la fréquentation, nous devons travailler sur la flexibilisation de notre personnel. L’avantage que nous avons, c’est d’avoir d’autres marchés résilients.
Parlons-en justement, de ces segments résilients ?
Sur l’éducation, nous maîtrisons la prédictibilité, et nous sommes revenus au niveau d’avant-Covid. Nous progressons sur l’enseignement public (les parents mettent plus facilement leurs enfants à la cantine en période d’inflation) mais comme les prix ne sont révisés qu’une seule fois dans l’année, on court après des renégociations permanentes, c’est chaud. Sur ce segment, nous jouons sur trois tableaux, l’éducation au goût, la transparence via les outils, et la saisonnalité des produits.
Quid du marché santé-médico-social ?
Sur le médico social (environ 400 Ehpad), nous avons travaillé sur une offre culinaire personnalisée par région, mais aussi sur les nutriments, les textures modifiées, puisqu'on mange d'abord avec les yeux, sans oublier de garantir une convivialité aux personnes âgées, une théâtralisation. J'ai décidé de repositionner notre valeur sur ce segment, et donc je fais des no-go sur certains établissements, certains groupes, quand le coût matière proposé est trop faible. J’ai un enjeu d’image et je n’y vais pas.
En parallèle, j'ai isolé le sanitaire -les hôpitaux- dans une société fille, EHRS, qu’on a basculé à Elior Service, parce que nous avons énormément de synergies avec le bionettoyage et le services. L’offre de restauration sur ce segment n’est pas la valeur ajoutée, parce qu’on ne donne pas beaucoup de moyens. Cette activité est plutôt concentrée sur une offre agro-alimentaire, la seule offre de restauration qui reste c’est pour le personnel soignant, les patients qui vont à la cafétéria.
Et qu'en est-il de vos filiales Alsacienne de restauration et Ansamble ?
Par leur ancrage territorial fort et leur positionnement spécifique, elles sont les seules rentables.
Comment envisagez vous 2023 ?
L’exercice va être très tendu car l’inflation n’a pas atteint la phase plateau… Sur douze mois glissants, je prends 24 % d’inflation alimentaire en éducation et santé, sur les produits basiques comme les pâtes, le riz, le lait, les oeufs, donc les produits les plus utilisés, et je ne peux pas faire de marge avant. Les salaires, eux, ont progressé de 11 %... Et quand j’arrive à passer 5 % à mes clients, c’est beaucoup ! 2023 reste pour moi une année de transition, avec l’objectif de diminuer mon foyer de pertes. Pour moi, c’est sur l’exercice 2024-2025 qu’on sortira de l’ornière, de la crise, avec un retour à la rentabilité de façon significative.
Quel impact va avoir l'augmentation de la participation de Derichebourg dans le capital d’Elior ?
Une réunion du conseil d'administration permettra d'en dire plus en mai.
En conclusion ?
Il faut consolider les fondamentaux. L'enjeu, c’est la transformation de la France, pour apporter une proposition de valeur nouvelle sur son territoire.
Propos recueillis en mars 2023
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