Concepts porteurs, pertinence du digital, positionnement prix, gestion des flux... Le 26 novembre, à Paris, le congrès RHD, organisé par Néorestauration et Food Service Vision, a permis de dresser un état des lieux du secteur. Plutôt positif...
Les Français portent souvent un regard négatif sur la situation. À tort. « Nous, société américaine (Yum Brands !), croyons en la France », explique Frédéric Levacher, revenu en juin dans l'Hexagone pour y diriger l'enseigne KFC et ses 172 restaurants, après des années à l'international. « Nous y investissons, nous y créons des emplois. » Avec la volonté d'y doubler le nombre de restaurants en cinq ans, dont 70 % en franchise. Chiffres à l'appui, NPD ne dit pas autre chose. D'après les chiffres de la société d'études, au CAM à fin septembre, le ticket moyen a augmenté de 1,1 %, et les dépenses de 0,2 % pour atteindre 54 milliards d'euros.
Mais tout n'est pas rose, et, comme dans les autres pays d'Europe (à l'exception de la Grande-Bretagne), le nombre de visites, soit 9,9 milliards, recule de 0,9 %. Cette baisse concerne les indépendants, mais pas les chaînes (+ 2 % en restauration assise, + 4 % en rapide), encore moins les concepts comme les coffee shops, en croissance de 11 % entre 2009 et 2014, les super pubs à l'anglaise (+ 30 % en cinq ans) ni les fast-casual, avec leur croissance à deux chiffres... Peut-être certains utilisent-ils les bons leviers pour inciter les consommateurs à consommer hors de chez eux : la convivialité et le partage, la recherche de plaisir, qui gagnent 6 points en cinq ans ; les coupons et autres prix attractifs, qui progressent de 7 points ; la diversification des moments de consommation. Le client veut se simplifier la vie, en avoir pour son argent et son temps - très réduit -, et dénicher les bons plans.
Innover, fidéliser
Pour le faire (re)venir, il faut donc s'adapter à ses besoins (offres enfants, opérations réseaux sociaux pour les jeunes...), jouer sur la transparence, les moments de consommation stratégiques (petit déjeuner et déjeuner), développer des menus et promotions spécifiques (offres à partager, à emporter, pour les heures creuses...). Sans oublier d'innover et de fidéliser en prime. Que demander de plus ? Du frais, du fait-maison et du digital ? Pas si sûr, à en juger les résultats tout chauds d'une étude on line de Food Service Vision, menée auprès de 500 clients de la restauration (voir ci-contre). Qui permettent de constater que les consommateurs ont une approche différenciée selon qu'ils ont affaire à un indépendant ou à une chaîne. Ils fréquentent les premiers principalement pour leur bon rapport qualité-prix, la qualité des plats et les plats faits maison ; les secondes pour le même rapport qualité-prix, mais suivi des formules/menus et service rapide, avec des attentes supérieures en termes de prix, de service et de digital.
« La borne répond à la tendance de la customisation de la prestation. Elle permettra au client de commander les ingrédients à ajouter ou à retirer dans son sandwich. » Frédéric Levacher, directeur général de KFC
« La restauration de flux change la manière de vendre. Il faut apprendre à gérer les flux. Le chiffre d'affaires peut passer de 1 à 40 selon les horaires. » Marie-Pierre Soury, présidente-directrice générale de la Croissanterie
« Nous travaillons également sur le digital, qui permet de resserrer les liens entre nous et le client. » Benoît Feytit, directeur général de Metro France
« Nous avons fait du low-cost sans le savoir, puisque low-cost signifie "rendre le plus accessible possible en contrepartie d'efforts". » Olivier Descamps, directeur général de Flunch
« Un concept innovant se doit d'être en rupture totale avec l'existant. » Steve Burggraf, directeur général de Big Fernand
+ 43 %. L'évolution du nombre de promotions dans les chaînes entre septembre 2013 et septembre 2014. Source : Food Service Vision
Le digital a du bon, mais en restauration comme ailleurs, on en est encore à la phase du « test et learn », d'où des questions en suspens. Faut-il installer des bornes à l'intérieur des restaurants, au risque de déshumaniser la relation avec le serveur ? À multiplier les outils numériques et notamment les mails, ne risque-t-on pas, quoi qu'on en dise, de saturer les consommateurs, voire d'exclure certains, notamment les plus âgés ? En attendant, les enseignes fourbissent leurs armes. Avec l'interne ou des agences spécialisées, elles travaillent les réseaux sociaux comme Facebook pour renforcer le lien « avec les aficionados de la marque », raconte Audrey Aufort (la Pataterie), et sont parfois déçues par la faible efficacité de certaines opérations menées sur d'autres comme Instagram. Elles misent sur la commande par internet, qui fonctionne bien, « à condition de proposer simultanément des promotions et une valeur ajoutée consommateurs », rappelle Sylvain Marie (Pizza Paï) ; qui draine, surtout le soir, « des clients plus fidèles, avec une fréquence et un ticket moyen plus élevés », ajoute Karine Lecomte (Sushi Shop). Et surtout, permet d'optimiser incroyablement le CRM, de traquer le client et « de développer une offre personnalisée », précise Karine Lecomte. « Nous devenons presque des mentalistes », ajoute en boutade Sylvain Marie. Bref, internet, même complexe, est vital. Car c'est là que démarre la fameuse expérience consommateur. Même quand il est professionnel. Ainsi, Metro Cash et Carry, à partir d'une base de données très riche, va récompenser la « vraie fidélité » de ses clients, c'est-à-dire le poids que représente l'enseigne dans leurs achats versus leur potentiel !
SABINE DURAND
La restauration des transports vit une pleine évolution. Aéroports, gares et autoroutes misent sur la rénovation de leur décor, l'adaptation des offres et des enseignes. Parmi les nouveaux venus : la Croissanterie. Pour se faire une place sur les aires de restauration des autoroutes, l'enseigne, traditionnellement implantée en centres-ville et en centres commerciaux, a revu son concept. « Un segment intéressant, car il est en phase de développement. Pour la marque, c'est davantage de visibilité. Et un vrai "plus" pour les consommateurs (repères, offre de qualité...) », explique la présidente-directrice générale Marie-Pierre Soury. D'ailleurs, 62 % des ouvertures des enseignes de restauration rapide à la française en zones de flux se sont faites sur autoroutes entre 2009 et 2013 (source : Food Service Vision). Ce segment implique pour l'enseigne de nouvelles cibles aux attentes variées. Cela va du routier de 50 ans aux jeunes femmes de 30 ans, en passant par les familles. Pour réussir son arrivée dans les zones de transit, il faut apprendre la gestion des flux, changer les formats des points de vente et sélectionner les meilleurs produits en fonction du cahier des charges du concept. Côté aéroports et gares, pour répondre à ces clients de passage, « il est fondamental d'être en mesure de proposer un portefeuille de marques bien "équilibré" en fonction des emplacements. À la fois des enseignes nationales, internationales, des marques "premium", "mass market", des marques en devenir », ajoute Gérard d'Onofrio, directeur général de SSP France, Belgique, Hollande. C'est ainsi que SSP est entré en contact avec Pret A Manger. Reste que l'innovation ne porte pas uniquement sur le produit. C'est un exercice complexe !
ENCARNA BRAVO
Selon une étude de Food Service Vision, la transparence est au programme du côté des marques. Le cabinet d'études note une progression de 19 % du nombre de références portant le label « fait-maison » entre septembre 2012 et septembre 2014. Une recherche de qualité qui accompagne un fort accroissement du nombre de promotions dans les chaînes : + 43 % entre septembre 2013 et septembre 2014. Du coup, certains fabricants ont revu leurs gammes en surfant sur les critères législatifs du fait-maison, finalement assez indulgents. Food Service Vision cite l'exemple d'Elle et Vire, qui propose une crème au mascarpone « qui fait gagner énormément de temps, tout en restant qualitatif dans l'assiette », ou de produits racontant une histoire, comme les pâtes Hilcona, dénommées « les trésors de l'Émilie-Romagne ». Du côté des distributeurs, on adapte l'offre pour être toujours plus pratique, et offrir cette fameuse dimension servicielle que recherchent les clients. Ainsi, Metro a mis en place il y a trois ans un système de livraison après-caisse, qui permet au client de se voir livrer son chariot. « Nous travaillons également sur le digital, qui permet de resserrer les liens entre nous et le client », explique Benoît Feytit, directeur général de Metro France. Autre élément différenciant : les MDD. Vecteur de confiance, elles permettent de jouer sur un autre levier que les prix. Même si certains, comme C10, préfèrent capitaliser sur un assortiment bien en phase avec les nouvelles attentes du marché, en incluant des dosettes de café dans l'offre.Relation humaine Les distributeurs jouent eux aussi le jeu du local. Metro propose désormais 15 à 20 % de produits locaux sur l'ensemble de son assortiment, au lieu de 5 à 15 % auparavant, allant même jusqu'à 30 % de pêche petit bateau. « Le raccourcissement des délais d'approvisionnement, la volonté de recréer une rue marchande dans la ville, et le décret sur le fait-maison nous incitent à travailler dans ce sens », note Benoît Feytit. Le retour à la relation humaine entre fournisseurs et acheteurs reviendrait-elle sur le devant de la scène, avec cette supply chain raccourcie ? « Oui, assure Christophe Loison, délégué général des Relais d'Or Miko. Notre méthode est basée sur les contacts. Nous savons que nos clients attendent la visite de nos commerciaux ». Ce retour aux relations réelles est profitable à l'ensemble de la filière, quel que soit le type de restauration. Ainsi, en collective, l'émergence du snacking n'est pas non plus incompatible avec l'utilisation de produits locaux. Et chez Quick, François Tissandier, directeur des achats, précise : « En tissant des liens avec les partenaires sur le long terme, on peut également s'assurer d'être prévenu en cas de changement sur le cours de certaines matières premières. »
FLORENT BEURDELEY
Alors que dans un contexte chahuté, la tentation est grande de jouer sur les prix pour doper la fréquentation, ce n'est pas forcément l'arme choisie par les intervenants à la table ronde sur le sujet. Olivier Descamps, directeur général de Flunch, l'enseigne préférée des consommateurs en termes de rapport qualité-prix d'après l'étude Food Service Vision, préfère parler de « valeur délivrée », lui qui propose, par exemple, du saumon sauvage à prix accessible, le service étant optimisé puisque le « client se sert et se place lui-même ». Robin Blondel, directeur produit et marketing d'Exki, met lui aussi en avant « le juste prix », celui que le client est disposé à payer en échange de ce qu'il en retire. Même s'il est un peu élevé par rapport à la moyenne du marché, ce prix ne l'empêche nullement de revenir, et même souvent, d'assurer la croissance à deux chiffres de l'enseigne à périmètre comparable. Sur le segment de la restauration sociale, Sodexo a mis en place deux offres pour deux types de clientèle : l'une premium (Inspiration), naturelle, « une offre du bien-manger », selon Guilhem Boutan, directeur qualité marketing du segment des entreprises, l'autre (Origine), avec des prix compétitifs obtenus non pas en rognant sur la qualité, mais en optimisant l'organisation, et en réduisant la carte.
SABINE DURAND
Shake Shack, Five Guys Burgers and Fries, Bubbledogs... Voici les noms de quelques concepts en devenir, selon Bento. Anne-Claire Paré, fondatrice de ce cabinet de tendances, précise : « Des endroits, comme le Praktik Bakery Hôtel, à Barcelone, ont le vent en poupe. Le côté rassurant de l'univers de la boulangerie répond au climat anxieux actuel. » Les desserts locaux, les salad'bars offrant des produits personnalisables sont également dans la mouvance. Sur l'offre, tout est affaire de communication. Certains, comme Eatme, misent sur la nourriture healty, comme le confirme Valérie Bagros, directrice générale de l'enseigne : « Les clients attendent une restauration plus saine. Ils ont pris conscience que l'alimentation fait partie du capital santé. » Pourtant, tous ne misent pas sur la nutrition-santé pour réussir. Le succès de Big Fernand, qui prévoit d'ouvrir deux unités à Londres et Hongkong en janvier, repose sur une offre de burgers de qualité et roboratifs. « Un concept innovant apporte une vraie nouveauté. Attention à ne pas croire qu'un concept venu de l'étranger serait forcément nouveau », prévient Steve Burggraf, directeur général de Big Fernand. D'autres misent sur le monoproduit, comme Axel Le Pomellec, créateur de Crêp'Eat. « L'offre conçue autour d'un produit phare constitue un point de repère pour le consommateur, à l'heure où, justement, les codes volent en éclat. »
FLORENT BEURDELEY