Chasse au gaspillage, les poubelles au régime sec

LYDIE ANASTASSION

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Dans les cuisines des restaurants, les déchets sont traqués et les retours d'assiettes scrutés. La lutte contre le gaspillage alimentaire a le vent en poupe. Car au-delà du geste moral, cette démarche peut être source de gains.

Publié au Journal Officiel du 28 août 2014, le Programme national de prévention des déchets 2014-2020 a rappelé aux acteurs de la restauration leur devoirs en matière de prévention des déchets. Le Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire (juin 2013), signé par les syndicats professionnels de la restauration collective (CCC et SNRC) et commerciale (Synhorcat et Umih), annonce l'introduction de clauses relatives à cette cause dans les marchés publics de la restauration collective (délégation de service public et denrées). L'approvisionnement et les circuits courts, la possibilité d'acheter des portions plus adaptées aux convives, la sensibilisation des clients, des équipes et des convives, les processus de préparation des repas sont parmi les leviers envisagés. Les entreprises ayant à fournir un bilan de RSE (responsabilité sociétale des entreprises), dans le cadre d'une candidature, devront établir un reporting sur le gaspillage alimentaire.

Parallèlement, le programme national de prévention des déchets demande aux donneurs d'ordre d'affiner les prévisions relatives aux nombres de convives et d'identifier les sources de gaspillage. La contrainte réglementaire se situe au niveau des biodéchets, qui recouvrent les déchets de production inévitables (pelures de fruits ou parures) et les restes des assiettes ou invendus.

Alléger la facture biodéchets

Rappelons que le décret concernant la collecte sélective des biodéchets, paru en juillet 2011, définit les modalités de tri et de collecte séparés pour les producteurs de biodéchets qui produisent plus de 60 litres d'huiles usagées ou 10 tonnes de biodéchets chaque année à échéance 2016. Des seuils annuels ont été institués : 40 tonnes et 300 litres par an en 2014, 20 tonnes et 150 litres par an en 2015. Les contrevenants s'exposent à une amende et à une peine d'emprisonnement. De quoi donner envie aux opérateurs de quantifier et neutraliser le gisement « gaspillage évitable » afin d'alléger la facture biodéchets.

Une étude réalisée en octobre 2011 par le GNR (Groupement national de la restauration), en partenariat avec l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), fournit les grammages de biodéchets par secteurs d'activité. En restauration traditionnelle et thématique, le ratio s'établit à 140 g par repas, incluant la préparation de celui-ci, les plats non consommés et les restes sur les plateaux. En restauration collective, il est de 11 g par repas préparé en cuisine centrale, 125 g par repas servi pour les satellites de réchauffage scolaires, et 134 g pour les autres segments. En restauration rapide, cette étude aboutit à un ratio de 43 g de biodéchets par ticket de caisse, et établit que les biodéchets issus de la salle de restauration représentent 6 à 8 % du flux des déchets produits. Selon ces chiffres, « le seuil de 10 t par an retenu pour le 1er janvier 2016 correspond à 71 000 repas par an, soit un restaurant d'entreprise qui sert 275 repas par jour sur 260 jours ».

Déclencher une prise de concience

Mi-octobre, la Journée nationale de lutte contre le gaspillage a mobilisé les professionnels. Au vu de la carte des initiatives publiées sur le site alimentation.gouv.fr, la restauration collective s'est davantage impliquée que la commerciale, aucune initiative nationale émanant de chaînes ou de réseaux n'y étant répertoriée. La plupart des actions recensées reposent sur la quantification du gaspillage, de ce qui reste dans les assiettes en fin de service. « L'idée est de trier et de peser afin d'obtenir un ratio par convive qui servira de référent, de point 0 à la quantification, menée sur une période donnée, explique Bruno Houppermans, créateur de Chef'Eco, qui propose un accompagnement complet dans la gestion des déchets de restauration commerciale ou collective. 60 % du gisement organique proviennent des retours plateaux, qui se répartissent à égalité entre 50 % de gaspillage et 50 % de déchets incontournables, comme les os. »

La méthodologie est simple : on met en rapport ce qui est gâché par le client avec le menu servi. « Le chef de cuisine travaille ensuite sur ces fiches techniques et modifie les grammages. » Au service, les agents mettent de côté les grosses écumoires au profit de vrais couverts de service, plus petits, pour remplir les assiettes. « Soit ce n'est pas bon, soit le convive n'a pas faim, soit la portion servie est trop importante ».

Mobilisée sur ce sujet depuis le printemps dernier et signataire du Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire, Unilever Food Solutions (UFS) met gratuitement à la disposition de tous les chefs son application « Stop au gaspi », téléchargeable sur iOS, Android et sur le site ufs.com. Les cuisiniers ont accès à une feuille d'audit pour consigner les quantités de déchets et définir des pistes. « Nous avons recensé 650 téléchargements en France, en Belgique et en Hollande, commente Caroline Dubilly, responsable communication et développement durable Benelux France, ce qui démontre un intérêt des cuisiniers pour la démarche. » UFS lance « Tous unis contre le gaspillage challenge » pour encourager davantage de chefs à s'engager au-delà de la consultation de l'application et à renvoyer une fiche d'audit complète. « En se basant sur un objectif de réduction de 20 % du volume des déchets, l'application donne immédiatement le montant, en euros, de l'économie réalisable. C'est la clé d'entrée », ajoute Caroline Dubilly.

La valorisation du gaspillage évitable constitue l'élément central des démarches mises en place, en commerciale comme en collective. Côté convives, il s'agit de déclencher une prise de conscience. Des restaurants scolaires expriment la valeur du gaspillage en « équivalent téléphones portables » ou en exposant les « montagnes » de pain gâché. Coté production, la chasse au gaspi s'inscrit dans une démarche globale de rationalisation des coûts. « C'est un cercle vertueux, insiste Bruno Houppermans. Si on produit moins, on achète moins et il y en a moins dans les poubelles. »

Le retour du « doggy bag »

Mais que faire des repas produits non servis ? La question se pose notamment aux hôpitaux et aux traiteurs. Malgré des réticences imputées au flou sur le transfert des responsabilités, des initiatives de don de plats en surplus semblent faire leurs preuves, à condition qu'elles soient encadrées par des conventions entre le donneur et le receveur, définissant la répartition des tâches et des coûts occasionnés par le transport, et garantissant le respect des DLC et des conditions d'hygiène.

En restauration commerciale, le « doggy bag » refait surface. Mais s'il a les faveurs de la presse, les restaurateurs sont partagés quant à son utilisation. Pourtant, des initiatives fleurissent. La Draaf Rhône-Alpes (Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt) lance l'opération « Gourmet bag », soutenue par 7 restaurants ambassadeurs lyonnais. Elle met à leur disposition des outils et une signalétique. Dans les Vosges (88), une quinzaine de restaurateurs ont adhéré à « Bon Ici et Bon Chez Vous », une opération impulsée par le Sicovad (Syndicat intercommunal de collecte et de valorisation des déchets ménagers), qui leur offre le packaging nécessaire. À Saint-Flour (15), à Nice (06), les restaurateurs sont sensibilisés à la démarche au moyen de kits gratuits d'emballages en carton. Des entreprises comme Take Away ou Trop Bon pour Gaspiller se positionnent sur cette offre avec des contenants attrayants et pratiques. De quoi amorcer une dynamique dans la profession et, comme le rappelle la Draaf Rhône-Alpes, « inciter les clients à terminer leur assiette avant tout ».

« C'est un cercle vertueux. Si on produit moins, on achète moins et il y en a moins dans les poubelles. » Bruno Houppermans, créateur de Chef'Eco

POUR EN SAVOIR PLUS

unileverfoodsolutions.fr takeaway-group.com tropbonpourgaspiller.com/la-boite-pratique-ecologique-solidaire draaf.rhone-alpes.agriculture.gouv.fr/Doggy-bag-une-boite-pour-emporter